Et
maintenant un autre que j'ai, jusqu'à présent, laissé dormir peinard au fond de
son cercueil. Je lui dois beaucoup, pourtant : de longues soirées
d'apprentissage, depuis mon plus jeune âge (je récitais la cigale et la fourmi
à deux ans, si si, je vous assure !), et le premier prix de récitation,
quelques années plus tard. Je veux parler, bien sûr, de monsieur Jean de la
Fontaine. Alors… Pourquoi l'avoir ainsi longtemps ignoré ? Pour dire la vérité,
je pense à lui depuis le début, mais sans trop savoir par quel bout l'attraper,
le bougre. C'est que ses petites fables existent davantage par leur message que
par leur forme poétique, somme toute assez secondaire. Parodier une fable
existante comportait une double gageure : non seulement il me fallait
"coller" à la forme, ce qui est le principe même de l'exercice, mais
en plus fallait-il trouver une moralité, une règle de vie, comme il le faisait
aussi. J'ai tourné dans ma tête "le loup et l'agneau", "Perette
et le pot au lait", "le lion et le rat", "le chat, la
belette, et le petit lapin", sans jamais réussir à démarrer. J'ai fini par
décider de pondre un "à la manière de", pastichant l'auteur plus que
l'une de ses œuvres. En voici le résultat.
La puce et le pou de corps
À croire les proverbes, à goûter les sentences
Trop souvent on oublie de vivre seulement.
On prend ses habitudes pour règles de bon sens,
Passe l'évolution, et l'on tombe dedans.
Une très jeune puce, par petits bonds taquins
Découvrait les recoins du corps d'une hétaïre.
Comme elle pénétrait un jardinet coquin
D'un pou de corps grincheux elle provoqua l'ire.
- " Que faites-vous ici ? Vous n'êtes pas
chez vous !"
Attaqua le morpion cramponné à son poil.
Comment peut-on ainsi se promener partout,
Manger n'importe quand, vivre sous les étoiles
?"
Malgré son tout jeune âge, la puce n'est pas
timide
Et répond au grognon avec plein d'enthousiasme :
-" Toi tu restes coincé dans ce pays
humide,
Chaque jour que Dieu fait tu en bouffes les
miasmes.
Tu ignore tout de tout, les modes, les
tendances,
En vieux réactionnaire, voilà comment tu vis !
Bien croché à ton poil, tu sens déjà le rance !
- Peut-être bien, gamine, mais je suis à l'abri
!
J'ai pour seul ennemi un petit troupeau
d'ongles,
Je les connais si bien que je ne les crains pas
Mon environnement est loin d'être une jungle
Et le reste du monde ne m'intéresse pas.
- Et bien tant pis pour toi", lui répond
l'étrangère
En évitant d'un bond l'arrivée impromptue
D'une bande de cire, et chaude et meurtrière,
Qui avala le poil, et son morpion dessus.
-" La mode a bien changé, tu l'aurais pu
savoir,
Si tout comme je fais tu voyageais un peu !
Le poil n'est plus couru qu'aux parties des
gaillards
Si tu l'avais appris, nous serions encore
deux"