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vendredi 28 février 2014

Voici la dose du jour...

Fifi a un petit air satisfait, en disant cela. J'ai comme l'impression qu'il pense l'affaire terminée en ce qui le concerne, vu qu'il ne va quand même pas s'abaisser à effectuer lui-même les opérations de vérification en question. Mais notre grand Nigaud a du décider que c'était trop simple ainsi. À son habitude, il lève la main pour demander la parole. Je lui balance, un peu sarcastique :
-" C'est au fond du couloir, la porte à gauche, mais dépêchez vous, mon vieux, nous avons du travail."
Migaud a un moment d'arrêt absolu, le temps d'enregistrer ma réponse, de comprendre qu'il s'agit d'une vanne, et de déterminer ce qui, dans son attitude, m'a conduit à la balancer. Puis il regarde son doigt, toujours pointé vers la plafond, rougit, le ramasse sous la table, et tente de se faire tout petit, ce que personne ne lui demande au demeurant, vu qu'à l'impossible le nul n'est tenu. De son autre main, il désigne son téléphone mobile, posé que la table.
-" qu'est-ce qu'il a, votre téléphone mobile ?" je demande. "Il vous appelle ?
- C'est un smartphone, Sénéchal," intervient le boss, "pas un simple mobile. Ne s'agirait-il pas du dernier Nikon-Zanker ?
- Euh, non monsieur. Il s'agit d'un Noir du Berry bien de chez nous.
- Pas mal. Mais Sénéchal a raison, mon vieux. Pourquoi nous montrer votre appareil ?
- Euh, c'est passque je peux surfer, avec. Alors, pendant que vous discutiez, je suis allé fouiner sur Internet.
- Et qu'y avez-vous trouvé ?
- Et ben, les noms que vous nous avez indiqué, t'ta l'heure, c'est les quatre premiers noms de la liste des patronymes les plus communs en France qui ne soient pas également des prénoms. Quant aux prénoms, justement…
- Et bien ?
- Ce sont les quatre prénoms masculins les plus usités il y a quarante ans, âge estimé du tueur.
- C'est très intéressant, sans doute, mon vieux, mais je ne vois pas du tout où ça nous mène.
- Ben, c'est rapport à c'que le capitaine a dit à propos des coïncidences. À mon avis, ce sont de fausses identités.
- Vous sautez un peu rapidement à la conclusion, mon garçon. Vous oubliez que ces noms sont le résultat d'une enquête approfondie et méticuleuse à partir de cartes bancaires et de numéros de téléphone mobile. Or, pour obtenir l'un ou l'autre, il est nécessaire de produire un document d'identité.
- Et une preuve de domiciliation !" J'ajoute, "ce qui signifie que, en interrogeant les banques et fournisseurs de téléphonie concernés, nous obtiendrons forcément des adresses.
- Vous voyez, Migaud, Sénéchal est d'accord avec moi, sur ce coup-là", assène Fifi, assez content de s'en sortir à bon compte. Sauf que je n'ai pas fini :
-" Sans vouloir présager des résultats du tri et des vérifications prévus dans la suite de l'enquête, je persiste à prétendre que les coïncidences vraies sont aussi rares que les vraies pucelles dans les bordels de Thaïlande. Je pense donc, comme Migaud, que nous avons affaire à de fausses identités. Mais, et c'est l'aspect positif de la chose, qui dit fausse identité et location de voiture ou compte en banque dit forcément faux papiers, et qui dit faux-papiers dit réseaux occultes. Et ça, c'est notre rayon, pas vrai, Romagne ?
- Je m'y mets immédiatement, pat… Euh… Capitaine. J'ai noté les noms et prénoms. S'il existe de faux papelards avec ces blazes, on en saura plus dans vingt-quatre heures.
- Et bien, mon travail aura quand même servi à quelque chose, même si votre hypothèse se vérifie, et que ces patronymes sont des faux."

On le sent un peu dépité, le Fifi, quand il se rattrape aux branches de cette manière. Trouver les noms, c'était super balèze. Ne pas se rendre compte qu'ils étaient faux, ça fait un peu bidon, et ça gâche forcément le tableau. Il voulait se la jouer caïd, il a réussi à prouver au groupe qu'il est très intelligent, mais qu'il évolue dans un monde théorique. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens bien disposé, ce matin. Au lieu de le laisser patauger; je décide de relancer en changeant de sujet, et sur un mode de communication un peu plus convivial. Mordez la démo :

-"Et pour les journaux, Patron… Euh, excusez-moi, monsieur le comm…
-Non non, Sénéchal, vous pouvez m'appeler Patron, pas de problème. Au contraire, je vous assure…"

Et voilà, emballé le Fifi. Vous direz ce que vous voudrez, vu que tant que vous ne me l'écrivez pas, j'en n'ai rien à battre, je manipule de mieux en mieux le jeune commissaire arriviste, moi. Mais reprenons, sans oublier la couche de vernis.

-"Et bien… Très bien, patron. Je vous en remercie."
Il a un petit geste de la main, comme pour dire "laissez, c'est pour moi". C'est trop facile. Je poursuis :
-"Que fait-on avec les journaux ? Nouvelle conférence, histoire de faire monter la pression ? On présente le lieutenant Le Fur comme la première victime à leur avoir échappé ? On donne les noms, pour les obliger à se faire faire de nouveaux papiers, ce qui pourrait permettre de les loger auprès des réseaux spécialisés ? Quatre types qui se font faire de faux fafs, ça se repère, forcément."

Fifi se gratte le menton, perplexe. Il analyse les propositions que je viens de lui balancer en leur ôtant leurs habits de questions, pèse le pour, le contre, cherche d'autres idées pour affirmer son leadership… Je lis en lui comme dans un abécédaire de cours préparatoire. Et, juste au moment où il s'apprête à parler, les lèvres déjà tendues, Migaud, qui n'en rate pas une, lève la main de nouveau, puis la baisse rapidement, aussitôt que ses yeux croisent les miens. Comme Ferricelli a déjà la bouche ouverte, et qu'en bon Corse il a horreur de gaspiller un effort, c'est lui qui répond :
-"Quoi encore, lieutenant ?
- Euh… J'ai continué à surfer, monsieur le comm…
- On vous a dit de m'appeler Patron !

- Ah bon, moi aussi ! Bon, ben, ok d'ac'. Donc, pour faire court, j'ai des copains geeks dont certains sont des hackers hyper pointus. L'un deux a conçu un petit programme qui permet de croiser des identités avec des adresses de boites mails. J'ai lancé le truc comme ça, sans trop savoir ce que je cherchais, et je suis tombé sur un truc pas banal. Vos quatre types, là, Christophe Petit, Laurent Dubois, Stéphane Moreau et Philippe Durand, et ben, c'est le même mec.

jeudi 27 février 2014

Et donc, forcément, c'est maintenant le début du 14...

Chapitre 14
Lundi matin, suite de la chanson…

On aurait pu entendre un acarien se gratter les génitoires, après cette annonce-là. Elle a généré un silence épais et lourd comme de la poutine (le plat québequois, pas le président russe, encore que le second soit aussi indigeste que la première, mais je tiens d'une copine, escort girl canadienne d'envergure internationale qui connait bien les deux, qu'il a moins bon goût.)

L'ange-qui-passe reprend du service, et dépoussière soigneusement les angles du plafond, avant que Fifi, avec une ingénuité tellement fausse qu'on n'en voudrait pas même sur Internet, ne demande :
-" Et bien, qu'est-ce qui vous étonne à ce point ? Avouez que vous ne vouliez pas croire à la puissance de l'informatique… À moins que ce ne soit à mes capacités personnelles… Je vous annonce donc qu'elles sont opérationnelles et se complètent. Ce qui me permet d'affirmer avec un risque de me tromper inférieur à un pour cent virgule seize que les tueurs sont quatre, et qu'ils se nomment Christophe Petit, Laurent Dubois, Stéphane Moreau et Philippe Durand.
- Alors, l'enquête est terminée ?" Migaud en paraît tout déboussolé.
-" Non, lieutenant Migaud, non. Il reste bien du travail à faire. J'ai leurs noms, mais c'est à peu près tout. Il reste à les trouver, maintenant. J'ai seulement fait un pas, que je veux néanmoins croire décisif. À vous de jouer, maintenant.
- Excusez-moi, monsieur le commissaire, mais vous serait-il possible de nous expliquer, en termes simples, dans la mesure du possible, comment vous êtes parvenu à ce résultat ?"

Il n'y a pas trace d'ironie, dans mes paroles, ce coup-ci. Plutôt une légère tonalité de respect. Si il a raison, et que ce sont les tueurs que nous cherchons, alors là, chapeau bas ! J'ai juste comme un relent de doute au fond du ciboulot. Sans être un zététicien forcené, j'aime quand même bien comprendre les choses avant de les prendre pour argent comptant. Quand même. Fifi paraît ravi de pouvoir étaler sa science. Il s'enfonce en arrière dans son fauteuil, croise les jambes, et attaque :
-" Voyez-vous, mes chers amis, il est impossible, pour une personne appartenant à la société humaine, de se déplacer dans la France d'aujourd'hui sans laisser de traces informatiques. Seuls quelques routards, clochards, ou chemineaux y parviennent encore, et tout juste. Or, nous savons que nos tueurs passent inaperçus, et la première chose que remarque une population, ce sont justement les traine-savates inconnus dans le paysage. J'en ai donc déduit, sans grand effort, que nos suspects étaient des gens intégrés, et qu'ils laissaient donc forcément des traces électroniques, dont les plus intéressantes sont l'utilisation d'une carte bancaire, et celle d'une carte de téléphone mobile. J'ai donc cherché ces traces.
-" J'ai peur de perdre déjà le fil, monsieur le commissaire," intervient le Dermédard. Je sais bien qu'en demandant aux opérateurs et aux banques, on peut suivre à la trace une carte ou un mobile, mais à condition de les connaître. Il est impossible de suivre toutes les cartes bancaires et tous les téléphones mobiles de France tous les jours…
- Vous avez raison, lieutenant Latrombe…
-Lamousson !
-Lamousson, excusez-moi. Vous avez raison, donc, mais en partie seulement. La chose n'est pas impossible, théoriquement. Elle ne l'est que pour des raisons matérielles, aujourd'hui, par manque de puissance de calcul. Il fallait donc réduire le champs des recherches. Je me suis concentré sur les flux bancaires des zones géographiques des meurtres, en ciblant les agglomérations, et en me concentrant sur les hôtels, restaurants, stations-services et loueurs de véhicules. Plus les appels téléphoniques sortants, bien évidemment. J'ai également limité mes recherches au mois précédent chaque meurtre.
- Ça fait quand même une quantité de données absolument monumentale, impossible à traiter avec un micro-ordinateur, fût-il le plus performant actuellement disponible.
- Une fois encore, vous avez raison, lieutenant Lapluie…
- Lamousson !
- Lamousson, décidément, je ferai mieux de parler avec moins de précipitation. Donc, oui, c'est impossible à traiter avec un micro. En revanche, c'est possible si on dispose de plusieurs centaines de milliers de micro-ordinateurs interconnectés…
- Mais, comment ?
- Il existe dans le monde plusieurs réseaux volontaires d'internautes qui mettent toute ou partie de la puissance de calcul non utilisée de leur ordinateur au service de la communauté, créant, par l'intermédiaire de logiciels spéciaux, des sortes de supercomputers, capables de traiter rapidement une grande masse d'informations. Et j'ai accès à l'un de ces réseaux. Ce n'est pas plus difficile que ça. C'est ainsi que j'ai réussi à déterminer que les quatre individus dont je vous ai donné les identités se sont promenés dans les zones concernées dans les quinze jours précédent les meurtres."

Il me semble nécessaire d'intervenir :
-" Vous voulez dire que l'on tombe chaque fois sur l'un d'entre-eux ?
- Non Sénéchal. Je dis que les quatre apparaissent systématiquement sur chaque zone, à des dates différentes.
- Et sont-ils spécialisés ? Votre système a-t-il révélé que c'est toujours le même qui loue la voiture ou fait le plein, ou qui paye l'hôtel ou le resto ?
- Absolument pas. Ils sont totalement interchangeables, et dans les tâches, et dans les dates. C'est pour cela que je pense qu'ils agissent ensemble, et payent à tour de rôle les dépenses qui se présentent."
C'est Mathilde Bénichou qui pose la question suivante :
-" Excusez-moi, monsieur le commissaire, mais, depuis que vous avez les noms, je suppose que vous avez lancé des recherches sur ces personnes…
- Tout à fait, madame…
- Bénichou.
- Bénichou, donc. Seulement, vous aurez noté qu'il s'agit de patronymes assez courants. Je pense que nous pouvons nous attendre à un gros travail de tri et de vérifications."


mercredi 26 février 2014

Le 13... Suite et fin 

La Belette est encore assommée par ce qu'elle vient d'apprendre. Son héros, le gros gorille indestructible qui l'a fait sauter sur ses genoux, et à qui elle a confié une bonne partie de ses tourments d'adolescente trop tôt privée de père vient de se casser la gueule de son piédestal, et il va y avoir du boulot pour recoller les morceaux. Fifi se racle ostensiblement la gorge, ce qui a le don de la ramener dans la vie réelle. Elle reprend son récit :
-" Donc, je vous disais que je me suis réveillée dans la position dans laquelle vous m'avez trouvée. Enfin… Presque. Au départ, je n'avais qu'une vingtaine de kilos à me tirer sur les membres, c'était plutôt cool. Il a corsé la note au fur et à mesure. Bon, je vous préviens tout de suite, pour le portrait robot, faudra repasser. Le type était vêtu d'une sorte de combinaison sado-maso, en cuir ou similicuir noir, et portait une cagoule. C'est un homme de taille moyenne, dans les un mètre soixante quinze, un mètre quatre vingts, de corpulence moyenne, avec un physique d'agent administratif…
- D'agent administratif ! Que définissez-vous, exactement, par "un physique d'agent administratif" ?" interroge Fifi, apparemment scotché par le vocabulaire de notre Belette.
-" Et ben, je dirais qu'il pèse dix kilos de moins qu'il n'a de centimètres au dessus du mètre, et que, malgré ça, il réussit à avoir un bedon confortable, ce qui s'explique par une quasi absence de développement de la masse musculaire qu'on est en droit d'attendre chez un mâle.
- Et vous appelez ça un physique d'agent administratif ! Mais pourquoi ?
- Parce que je trouve que rien n'est plus éloigné de l'image que je me fais de l'homme idéal qu'un agent administratif. C'est mou, c'est veule, c'est quasiment asexué, et, par-dessus tout, c'est inutile, un agent administratif ! Je hais les agents administratifs !
- Mon père était agent administratif !
- Et Corse ?
- Bien évidemment !
- Je comprends que cette double malédiction soit si lourde à porter pour vous, monsieur le commissaire."

Avant que Fifi n'explose devant la mine faussement apitoyée d'une Belette qu'on sent remontée comme un skieur arrivant en haut du tire-fesses, je décide de recentrer la discussion :
-" Que peux-tu nous apprendre d'autre, sur ce type ?
- Je vous l'ai dit, pas grand-chose capitaine. C'est un caucasien qui doit avoir une quarantaine d'années, à peu près. Voix banale, physique banal, eau de toilette bon marché, c'est le genre de type qu'on croise tous les jours sans jamais le remarquer. Même sa bite est ordinaire !
- Mais enfin, mademoiselle Le Fur !" Le petit Corse est tout retourné.
-" Ben quoi, c'est vrai, enfoncelecloue la donzelle, avec férocité. "Douze centimètres de long, entre trois et quatre de diamètre, non circoncis, rose pâle, et la raideur d'une banane trop mûre, j'appelle ça une bite ordinaire. Surtout emballée dans un préservatif rose. C'est pas avec elle qu'il m'a fait le plus mal, même quand il a tenté de m'enc…
- Il y a donc eu sévices sexuels !" interviens-je à propos pour éviter à Fifi d'exploser pour de bon.
- Pour ça, oui, il a eu le temps. Encore que, sans vouloir jouer avec les mots, c'est plutôt sa façon de faire joujou avec les masses de fontes qui m'a fait jongler. Pour le reste… Il m'a baisée une première fois, mais il est venu de tout de suite…
- Un éjaculateur précoce ? C'est bon à savoir…
- Non, quand même pas… Quand je dis tout de suite, disons que ça a pris moins de cinq minutes."
Fifi est complètement effaré du naturel avec lequel la Belette nous raconte son viol.
-" Mais enfin, mademoiselle Le Fur, on a l'impression que vous le regrettez !
- Ben, tant qu'à me faire baiser, puisque j'étais dans l'impossibilité d'y couper, j'aurais aimé en profiter un peu, c'est humain, non ? Mais non, j'déconne. Enfin, c'est quand même ce que j'ai essayé de lui faire croire, à l'autre tordu. Parce que son trip à lui, c'est la peur et la douleur qu'il inspire. Et ça, je l'ai compris tout de suite, et c'est sans doute ce qui m'a sauvée. Dès qu'il a fini sa petite affaire, je me suis plainte de son manque d'endurance, et j'en ai redemandé. Je vous garantis que ça l'a énervé un bon peu, et c'est là qu'il a essayé de m'enc… Enfin, de prendre l'entrée de service. Seulement, j'ai le cul plus musclé qu'il n'a la bite raide, si vous me pardonnez l'expression, monsieur le commissaire… Donc là, macache ! Même avec un doigt, il n’y arrivait pas. Je vous le dis, physiquement, c'est un agent administratif, y'a pas à tortiller. Ces échecs répétés, ça a quand même fini par le foutre en rogne pour de bon et il a commencé à augmenter les charges qui m'écartelaient. Là, franchement, j'ai eu peur. Et mal. J'ai eu un moment de doute sur la conduite à tenir, mais je me suis dit que la seule façon de m'en sortir, c'était de durer le plus longtemps possible pour vous permettre de comprendre et de nous jouer la charge de cavalerie. D'ailleurs, à ce propos, bravo à vous tous. Vous m'avez trouvée vachement plus vite que je ne l'espérais. Mais je m'égare. Donc, j'ai décidé de cacher ma peur et de lui tenir tête, mais de feindre l'évanouissement, de temps en temps, pour éviter qu'il ne monte les charges trop rapidement. Ce petit jeu a duré jusqu'au lever du jour, hier matin. Il m'a alors expliqué qu'il avait besoin de repos, qu'il allait se coucher en pensant à moi, et qu'il reviendrait le soir même pour s'amuser de nouveau, jusqu'à ce que je demande grâce, et que je le supplie de me tuer. Il a ajouté qu'il me violerait encore pile et face, et que cette fois il me ferait pleurer, parce que je n'aurais plus la force de lui résister, amoindrie par une journée complète d'écartèlement. Entre nous, je pense qu'il se la pétait un peu. Face à sa petite bite molle, j'aurais pu tenir encore une nuit, et la journée de dimanche.
- Et bien je suis néanmoins heureux que tu n'aies pas eu à en faire la preuve." dis-je. "Il reste maintenant à nous organiser pour retrouver ce pékin moyen, et on n'est pas beaucoup plus avancé qu'avant ton enlèvement. On sait seulement qu'il lit les journaux.
- Qu'ils lisent les journaux." me reprend Ferricelli.
-" Excusez-moi, monsieur, mais je vous assure que le type était seul."

- Et c'est bien ce qui m'ennuie, lieutenant. Parce que, voyez-vous, le capitaine Sénéchal n'est pas le seul, ici, à faire des heures sup. Moi aussi, je travaille pendant le week-end. C'est ainsi que j'ai eu hier la confirmation d'une hypothèse qui se construisait depuis plusieurs jours. Les tueurs sont quatre, et je connais leurs noms.

mardi 25 février 2014

Et un petit bout du 13, un...
Chapitre 13
Lundi matin, l'emp'reur, sa femme et le p'tit prince…

Jamais, depuis que je suis dans la poule, je n'ai eu autant hâte d'arriver au bureau qu'aujourd'hui. Et jamais on a roulé aussi lentement dans Paris. Même le gyro est inutile. Mon itinéraire préféré évitant comme la peste, par principe, les axes équipés de couloirs de bus, je n'ai même pas le loisir de les emprunter. Quand je pointe à la porte du bureau de Ferricelli, il est déjà neuf heures et demie, et je suis évidemment le dernier. Voilà une semaine qui commence bien !

Isabelle, rayonnante, nous joue les reines du bal, assistée d'un Fifi particulièrement mondain, qui cherche sans doute à faire oublier sa muflerie de samedi. C'est d'ailleurs lui, tout miel, qui déclare, dès mon arrivée :
-" Puisque le capitaine Sénéchal a enfin réussi à s'extraire de la circulation parisienne, je propose que nous nous installions dans votre espace paysager, nous y serons plus à l'aise, ma chère Isabelle, pour y entendre enfin le récit de votre aventure…"
Je suis presque étonné de ne pas voir l'extrémité d'un œuf pointer de sa bouche en manière de point final. Nous àlaqueuelelons donc (ces vieux couloirs sont si étroits) jusqu'au fameux "espace paysager" dédié aux lieutenants, et nous installons autour de la grande table par affinité : les deux vioques serrés l'un contre l'autre à un bout, la Belette et son Nigaud enamouré sur l'un des grands côtés, Romagne et moi en face d'eux, et Fifi à l'autre extrémité, seul. D'un geste de la main élégant, je l'avoue, et plein de désinvolture, il fait signe à Isabelle Le Fur de commencer son récit. La môme hoche la tête, affiche une moue rapide, puis se lance :
-" Vendredi dernier, je me suis pointée à la salle, comme toutes les semaines. J'ai trouvé une place libre à quelques mètres, ce qui est extraordinaire ! D'habitude, je suis garée à dache. Je ne pouvais pas encore savoir que c'était fermé. Juste comme je sortais de la voiture, ma mère m'a appelée, pour me confirmer que nous déjeunions ensemble, chez elle, dimanche. Comme tous les dimanches…
- Et elle vous appelle pour ça ?" intervient Fifi, étonné.
-" Ben oui, pourquoi pas ?
- Il me semble plus logique d'appeler pour signaler un changement d'habitude, c'est tout.
- Ouais, ben c'est une logique de mec. Ma mère et moi, on s'appelle pour le plaisir, et on en profite pour se délecter par avance des bons moments qu'on va passer ensemble. Ce qui est une logique de fille, sans doute, mais moi, je préfère.
- Continuez votre récit, je vous en prie.
- Ouais. Bon. Donc, coup de bigo en descendant de la voiture. Je discute en avançant vers la porte, et je raccroche juste comme je découvre le mot qui indique que le club était exceptionnellement fermé.
- Tu veux dire qu'il était fermé dès vendredi soir ?" intervient Migaud.
-" Ben oui, pourquoi ?
- Quand je suis passé, samedi matin, je me suis figuré, je ne sais pas pourquoi, qu'il venait de fermer. Putain, quel con je fais ! Tu étais déjà là, à quelques mètres, et moi…
- Eh, cool, Raoul ! C'est quand même toi qui as sonné l'alerte. Vous auriez attendu ce soir pour vous inquiéter, c'est sans doute du haut d'un nuage que je vous regarderais. Alors, tu te calmes, t'arrêtes de te ronger les ongles, et tu n'interromps plus la dame."
Le grand fait "oui oui" de la tête, mais n'en pense pas moins. La Belette reprend son récit.
-" J'étais en train de lire le poulet de Jean-Pierre, quand j'ai senti une présence derrière moi. Il y avait là un type en jogging, avec un sac de sport à la main. Je me suis serrée sur le côté, pour qu'il puisse lire aussi, puis j'ai senti une piqure dans la fesse, et je me suis réveillée dans la position dans laquelle vous m'avez trouvée.
- C'est quand même troublant, cette coïncidence, non ?" interroge le Rital à l'encan, le regard fixé sur les ongles qu'il est en train de curer avec son surin de tueur.
- "Quelle coïncidence ?" je demande, goguenard.
- " Et bien, que le tueur ait justement profité de cette fermeture exceptionnelle de la salle, puisque apparemment, elle n'était pas vraiment planifiée" répond Romagne, comme si ça allait de soi. Et Fifi en rajoute une couche :
- Il faut croire que notre homme a une grande capacité d'improvisation. Ce qui me confirme dans l'idée qu'il n'agit pas seul."
Personne ne paraît étonné de tant de candeur, ce qui a le dont de m'exciter le nerf olfactif, rapport à une odeur de moutarde qui, telle la bébête, monte, monte…
-" Est-ce que quelqu'un, ici, peut me rappeler ce que nous faisons, comme métier ? Parce que, allez savoir pourquoi, il me semblait que nous étions enquêteurs, et dans une brigade criminelle…
- Pourquoi cette ironie soudaine, Sénéchal ?" interroge abruptement un Fifi rendu méfiant par mon ton badin.
-" Oh, simplement parce que le B.A. BA de l'enquête criminelle, c'est de considérer les coïncidences comme suspectes, monsieur le commissaire. Ce dont personne, ici, ne se souvient, apparemment !"
C'est la Belette qui prend la mouche la première :
-" Imaginer que Jean-Pierre pourrait être mêlé de près ou de loin à une agression contre moi, excusez-moi capitaine, mais c'est une connerie. Ça fait près de vingt ans qu'il me connait, j'accompagnais mon père dans cette salle alors que j'étais encore toute mioche.
- Je ne vous en veux pas, Le Fur. Vous n'avez sans doute pas recouvré l'ensemble de vos moyens…"
Et c'est le grand Nigaud qui prend la défense de sa princesse :
-" Isabelle dit vrai, capitaine. Moi aussi, je connais très bien Jean-Pierre. C'est un costaud, mais il n'a que de l'os entre les deux oreilles. Son implication est inimaginable.
- Oh, mais je ne l'imagine pas, son implication, mon petit Migaud. Je la confirme. Parce que je n'ai pas passé la journée de dimanche le cul dans un fauteuil à regarder la télé, moi. Votre Jean-Pierre est en garde à vue depuis hier matin huit heures. Je n'ai pas eu à le chercher bien loin, question voyage en province. Il était tranquillement chez lui, à deux pâtés de maisons de la salle. Et il a avoué."

Je ne vous cache pas que mon annonce a fait son petit effet, et que je le savoure en connaisseur. Démontrer aux petits jeunes qui se prennent pour des grands flics que le vieux connait son boulot, c'est un plaisir agréable. Prouver à un commissaire qui se prend pour le « Einstein » de la Poule que la vieille baderne qui fait office d'adjoint peut se révéler plus efficace que son ordinateur, c'est une jouissance digne d'Épicure. Et les deux ensemble… Fifi me rattrape par la cheville alors qu'avec ma tête de mongole fière, je m'envole vers les sommets de la félicité :
-" Alors, ce Jean-Pierre est complice ?
- Pas objectivement, monsieur, non. Son cas relève davantage de l'administration des impôts que de la police. Il est persuadé qu'il a loué sa salle à une société de production de films à caractère pornographique.
- Jean-Pierre !" La Belette et Migaud paraissent outrés de conserve.
-" Et oui, Jean-Pierre. Que voulez-vous, quinquagénaire, célibataire, plutôt porté sur le physique que sur l'intellect... C'est un gros consommateur à titre personnel, et l'idée que sa propre salle servirait de décor à quelques opus du genre l'a émoustillé. Sans compter que c'était largement rétribué, et en liquide…
- Il faut l'interroger sans relâche afin qu'il nous dise tout ce qu'il sait !" éructe Fifi.
-" Je ne pense pas que ce soit vraiment utile, monsieur le commissaire. Quand je lui ai dit que son établissement avait servi de salle de tortures, et que je lui ai indiqué l'identité de la victime, il a fondu en larmes, et s'est montré très coopératif. J'ajoute qu'il vaudrait mieux que le tueur ne tombe pas entre ses mains avant que nous l'arrêtions, cela risquerait de rendre impossible toute identification. Le monsieur est déjà impressionnant au repos, mais il est franchement terrorisant quand il est en colère.
- Et que vous a-t-il appris d'utile ?

- Peu de choses en vérité. Il n'a eu aucun contact physique avec le tueur. Tout s'est fait par téléphone. Il s'agit d'un homme à la voix quelconque, s'exprimant sans accent, dans un français correct. La moitié de la somme promise, soit dix mille euros en billets de cent, a été déposée dans sa boite aux lettres. On peut en déduire que notre homme a les moyens nécessaires à l'assouvissement de sa folie. J'ai récupéré les billets, ils sont à l'analyse. En dehors de ça, je n'ai pas grand-chose d'exploitable. Je pense que mademoiselle Le Fur nous en apprendra davantage dans la suite de son récit."

lundi 24 février 2014

Allez, je vous mets le 12 en entier... Il est tout petit...

Chapitre 12
Samedi après-midi, suite …

Moins de dix minutes plus tard, et au prix, somme toute modique, d'une aile froissée, d'une crise cardiaque à confirmer, et de quelques noms d'oiseaux, bras d'honneurs et autres doigts vengeurs, nous effectuons une arrivée "à l'américaine" devant l'entrée de la salle de gym. Sans même attendre l'arrêt complet du véhicule, comme le lui a pourtant appris sa maman, Nigaud a jailli de la voiture pilotée par Romagne (oui, c'est moi qui me coltine les vioques L) et, dans l'élan, a enfoncé la porte d'entrée du Paris Fitness Club, le rideau orné de la tronche du culturiste qui décorait le hall de son beau sourire niais, le sas conduisant aux vestiaires, et la double porte ouvrant sur la salle de musculation. Nous nous engouffrons sur les traces de ce maelstrom humain jusqu'au pied d'un formidable engin de torture. Il s'agit d'un cube de deux mètres cinquante d'arête, composé d'innombrables tubes de section carré, peints en blancs, de câbles de traction en acier brillant, de poulies, de pédales, de poignées, de ressorts et de plaques de fonte noire graduées de dix kilos en dix kilos, rassemblées en quatre piles de vingt, qui flanquent les quatre côtés de l'engin. Et, suspendue au centre de ce système comme une mouche au cœur d'une toile d'araignée, écartelée par des cordes à sauter qui lient ses quatre membres aux câbles de traction tendus par les masses de fonte, nue, couverte de transpiration, le menton collé à la poitrine, inconsciente, la Belette nous propose une hideuse imitation du supplice de saint André.

Le grand est immobile, face à elle, et bredouille bêtement " c'était sa machine préférée, c'était sa machine préférée…". J'ôte mon pardessus avec l'intention de l'en couvrir, tandis que Romagne prévient déjà les collègues. Isabelle redresse alors péniblement la tête, entrouvre les paupières, et nous balance :
-" Faut surtout pas vous presser, j'ai rien d'autre à foutre, ce week-end…"
Puis elle retombe dans les vapes. Il faut moins d'une minute au Rital, qui a sorti de sa poche un couteau papillon, celui dont le port est strictement interdit sur la voie publique, pour trancher les cordes qui l'emprisonnent. Nigaud reçoit le corps d'Isabelle dans ses grands bras musclés, et le dépose doucement sur une pile de tapis de gym que les vioques ont dressée juste à côté de la cage à muscles. Je la recouvre de mon pardessus. Romagne a repris son portable. Il décommande l'Identité Judiciaire au profit de Police Secours, et demande également des renforts pour isoler la zone et essayer de trouver des traces de notre tueur.

Un quart d'heure plus tard, la Belette est sanglée sur une civière, avec une perf plantée sur le dos de la main. Un monitoring cardiaque nous indique qu'elle est très affaiblie, mais que la machine tourne rond. Le toubib, qui après un examen superficiel n'a décelé aucune blessure, envoie à la volée différents produits directement dans le tube de la perf, et la miss revient parmi nous. Personne ne sait trop quoi dire. Nigaud chuchote un faiblard "tu nous as fait vachement flipper", mais Isabelle ne lui laisse pas le temps de prolonger les apitoiements :
-" Vous l'avez eu, ce salopard ?
- Ben non, quand on est arrivé, y'avait personne" lui répond Nigaud, assez scotché que la gamine ne perde pas le fil de l'enquête en de pareilles circonstances. Et il n'est pas au bout de ses surprises, le grand, pas plus que nous, d'ailleurs, parce que la Belette, en l'entendant, se fout en renaud et nous engueule proprement :
-" Tu veux dire que j'ai subi tout ça pour rien ? Mais faut changer de métier, mes petits potes ! C'était pourtant pas difficile de planquer discrètement, en attendant qu'il revienne pour la scène finale, et de lui tomber sur le paletot !
- Mais mais mais…
- Arrête de bêler comme ça, c'est braire que tu devrais faire !"
La gamine est en furie, et je vois arriver le moment où elle va arracher sa perf, à s'agiter comme ça. Aucun de ses quatre équipiers n'ose lui répondre quoi que ce soit. Je me décide à intervenir pour la calmer, quand, de derrière nous, une voix peu amène renchérit :
-" Je ne vous le fait pas dire, mademoiselle. La sensiblerie de vos collègues nous a sans doute coûté une arrestation toute faite !"

Fifi n'est pas content, et ça se voit. Je pense que, ce qui l'embête, c'est plus la manière dont on l'a planté au démarrage que le fait que nous ayons – peut-être – raté le tueur. Mais son intervention provoque, chez la Belette, une réaction surprenante. Au lieu de se trouver satisfaite de voir sa position renforcée par l'avis du grand chef, et de laisser tomber la pression, elle en rajoute une couche :
-" Non mais écoutez-le un peu, ce tordu. Ce que vous appelez la "sensiblerie" de mes collègues n'est que l'expression de la peur qu'ils ont eue en me croyant morte ! Mais vous, visiblement, vous n'en avez rien à branler, de ma peau. Je peux me faire défoncer par tous les orifices, me faire torturer pendant des heures, du moment que votre enquête avance, et que vous pouvez avoir une belle photo dans les magazines, vous êtes content ! C'est ça ?"
Fifi a pris une belle teinte écarlate, et jette des coups d'œil latéraux pour vérifier que la voix de la miss ne porte pas trop loin. Il répond :
- Calmez-vous, mademoiselle Le Fur. Je… Je suis tout au contraire … soulagé, oui, c'est le mot, soulagé de vous retrouver vivante, et, à ce qu'il semble, dans un état de forme satisfaisant. Je déplore, il est vrai, que nous n'ayons pu appréhender votre… tortionnaire, car c'est le vocable adéquat, mais je suis certain que grâce aux informations que vous ne manquerez pas de nous communiquer, nous mettrons bien vite un terme à la liste de ses méfaits. Après tout, nous avons de la chance, vous êtes la première victime qui peut témoigner, dans cette affaire."

Si les yeux d'Isabelle pouvaient lancer n'importe quoi de solide, le Boss serait illico compté dix par l'arbitre. Au lieu de ça, c'est la donzelle qui part à dame d'un coup. Le toubib, que personne n'avait remarqué, nous explique en exhibant la seringue avec laquelle il vient de piquer directement dans le tube de la perf :
-" J'ai préféré calmer le jeu, cette jeune personne n'étant absolument pas en état de tenir une conversation cohérente. Outre les sévices qu'elle a subis, elle a été droguée avec un produit pour l'instant indéterminé, puis sérieusement secouée par les stimulants que nous lui avons prodigués pour contrer l'effet de choc. Il lui faut maintenant dormir un long moment. Nous en profiterons pour l'examiner plus à fond, et faire les analyses nécessaires. Je pense que vous pourrez lui parler dans quarante-huit heures. Ah, et… Monsieur le commissaire, surtout ne vous offusquez pas du ton qu'elle a employé. Elle n'était pas elle-même, et ne saurait être tenue responsable de ses paroles malencontreuses à votre égard." Puis il fait un signe aux brancardiers qui embarquent la gamine dans l'ambulance et nous plante là pour se casser avec eux. Mon Fifi fait une drôle de tête… Il a l'air tout pensif… Et je sais bien ce qui le travaille, moi. Il se demande si la sortie du toubib était sincère, ou si c'était du foutage de gueule, et une manière de dédouaner la gamine. Et bien, je peux vous dire qu'il a raison de se poser la question. Bon. C'est pas tout ça, mais il y a peut-être moyen de sauver les restes du week-end. J'en serre cinq à toutes les mains droites de l'équipe, et je les renvoie, avec leur titulaire respectif, réintégrer le domicile familial, conjugal, ou colocatéral. Puis je me retourne vers Fifi, toujours perdu dans ses pensées.
-" Monsieur le commissaire ?
- Hein, oui ? Qu'y a-t-il, Sénéchal ?
- Vous paraissez préoccupé.
- C'est exact, et à juste titre. Peut-être que l'explication nous a été donnée par ce médecin, mais la chose reste curieuse…
- De quoi parlez-vous, monsieur ?
- Je trouve étrange que le lieutenant Le Fur ne nous ait pas indiqué qu'elle a été agressée par plusieurs hommes.
- Plusieurs hommes ? Je pense que vous vous trompez, monsieur. Isabelle est suffisamment professionnelle pour ne pas taire une telle information, malgré les circonstances. Je suis persuadé qu'elle a bien été agressée par un homme seul. D'ailleurs, maintenant que j'y pense, elle nous a bien demandé si nous avions eu "ce salopard".
- Et je pense, moi, qu'ils étaient quatre. Mais à quoi bon en discuter maintenant ? Il sera toujours temps d'en débattre quand l'académie de médecine nous rendra le lieutenant. Bon week-end, Sénéchal. Mes amitiés à votre compagne."


Vous croyez qu'il fait exprès ?

dimanche 23 février 2014

Le grand Nigaud a une idée...

Le Nigaud rougit comme une pucelle prise la main dans la culotte au fond du confessionnal, et bafouille que ça avance mais lentement, et qu'il a encore des trucs à vérifier, mais que ce n'est pas mûr, et que, et que… Ferricelli le coupe sèchement en s'adressant à moi :
- "De quelles recherches s'agit-il, Sénéchal ?
- Le lieutenant Migaud va vous l'expliquer, monsieur, n'est-ce pas, Migaud ?"

Le gamin n'est pas stupide, et sait bien que je ne peux rien faire pour le couvrir encore. Il va falloir qu'il crache le morcif devant le patron. Il se lève, et fait face au Boss, les mains derrière le dos, comme un élève qui passe au tableau sous le regard sévère d'un vieil instit en blouse grise. Bon, ici l'élève rend pratiquement deux têtes au maître d'école, mais pour le reste, l'équilibre des forces est respecté. On voit tout de suite qui commande, et qui irait volontiers se vider la vessie…

-" Et bien, je vous écoute, lieutenant.
- Oui… Euh… Bon… Alors, comment dire… C'est une idée que j'aie eue à la fin de la réunion de vendredi passé, quand vous nous avez expliqué l'histoire des statistiques… Mais bon, j'étais pas sûr, il fallait que je réfléchisse au calme et que je teste pas mal de trucs avant de, peut-être…
- Et quelle est cette idée, lieutenant ?
- C'est assez difficile à dire comme ça, monsieur le commissaire…
- Et pourquoi donc ? Vous connaissez sûrement l'adage, lieutenant : "Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement". Par conséquent, énoncez, mon vieux, énoncez…
- Bon, et bien voilà. Je pense que vous avez fait une erreur. Monsieur."

Effectivement, c'était assez dur à dire comme ça. Y'aurait une mouche dans la pièce, on l'entendrait voler. Ce qui me permet d'affirmer qu'il n'y en a pas. Le grand Nigaud est conscient d'avoir commis l'irréparable, le crime de lèse-commissaire-corse. Il regarde, que dis-je, il scrute l'extrémité de ses baskets avec une acuité rare. Les deux vieux regardent fixement leurs sous-mains, tandis que Romagne cherche une fissure au plafond. Fifi ne bouge pas. Il faut que l'idée s'insinue dans sa matière grise quasiment étanche… Puis tombe LA question :
-" Quelle erreur ?"
J'espère pour lui qu'il est certain de ce qu'il va dire, la grand, parce que sinon, il peut demander sa mutation à Saint Pierre et Miquelon ! Mais il ne se démonte pas. Après avoir respiré plusieurs fois, très lentement, et retrouvé une couleur normale, il énonce, comme demandé :
-" je pense qu'il y a un point commun à tous les meurtres, en plus de vos six critères, et je crois que je l'ai trouvé. Monsieur.
- C'est impossible, mais je vous écoute. Quel est cet élément qui m'aurait échappé ?
- Toutes les victimes ont été tuées dans un endroit qu'elles aimaient particulièrement… Monsieur."

Fifi s'attaque au tour de la tanière méthode Napoléon sur les remparts. Renfrogné, le menton dans le gilet, les mains derrière le dos qui se pétrissent. Puis il se redresse, regarde le grand dans les yeux, ce qui lui demande un effort certain, rapport à l'altitude, et commence un interrogatoire serré :
-" Bon, les appartements et les maisons je veux bien, Mais…
- Non monsieur, excusez-moi, mais ce n'est pas si simple. Les quatre victimes trouvées dans leur domicile ne le quittaient pratiquement jamais. L'une était agoraphobe, la deuxième ne supportait pas le genre humain, la troisième, décoratrice, avait concentré dans sa maison la quintessence de son art, et la quatrième avait placé tout son argent dans une collection de tableaux qu'elle ne supportait pas de quitter plus d'une heure durant.
- Ah… et le squat ?
- La victime y avait vécu avant sa cure de désintoxication, et revenait régulièrement y passer une heure, comme en pèlerinage.
- Le hangar ?
- La dame en question avait coutume d'y rencontrer ses amants. Elle aimait les amours agricoles.
- Le parcours de santé ?
- Une sportive assidue qui le faisait tous les jours.
- L'usine ?
- la victime y avait commencé comme secrétaire-comptable, avant d'en épouser le directeur. Elle y revenait plusieurs fois par semaine pour papoter avec ses anciennes collègues, jusqu'à ce que le bâtiment soit désaffecté; l'an dernier. Depuis, elle y revenait de temps en temps.
- La cabine d'essayage ?
- Une dingue de la mode. On a trouvé plus de deux cents robes chez elle.
- Le cinéma ?
- Une comédienne refoulée qui continuait à se présenter à tous les castings possibles. Elle assistait souvent le projectionniste, et faisait office d'ouvreuse les soirées achalandées. Une amie de la famille, en quelque sorte.
- Les toilettes de l'aire de repos ? Là, quand même !
- L'enquête préliminaire a juste omis de signaler que la victime, Lucienne Lavale, plus connue sous le sobriquet de Lulu la Goulue était une professionnelle, et que c'est là qu'elle pratiquait sa spécialité.
- La caravane ?
- C'était la caravane de feu les parents de la jeune femme assassinée, qui était d'origine tzigane.
- Et pour le parking souterrain, qu'est-ce que vous avez trouvé ?
- Notre victime était professeure d'histoire, et archéologue amateur. Elle s'intéressait de près aux fondations dudit parking, qui remonteraient peut-être au moyen-âge. Elle y passait tout son temps libre, a dessiner et prendre des mesures.
- Comment avez-vous obtenu, ces éléments ?
- J'ai passé beaucoup de temps au téléphone, et j'ai relu tous les dossiers, au-delà des soixante-treize points que vous aviez déterminé.
- Beau travail, lieutenant Migaud, beau travail. Inutile, sans doute, mais beau travail…"

Il a l'air content, le Fifi. Content d'avoir un subordonné intelligent, et encore plus content d'être encore plus intelligent, et de décréter que le travail de l'autre est inutile. Mais c'est là que je ne suis pas d'accord, moi.

-" Dis, Migaud, c'est quoi, le lieu qu'elle préfère, la Belette ?"

Tandis que Ferricelli s'étonne à haute voix que le lieutenant Le Fur réponde à un sobriquet aussi ridicule, le front du Nigaud se plisse sous l'effort de concentration intense qu'il livre, avant de se détendre d'un coup :
-" Je ne vois que la salle de sport, pat… Capitaine.
-" La salle de sport qui est si opportunément fermée pour quelques jours…"


Ferricelli n'est pas un homme de terrain. Il est encore dans la tanière à se demander ce qui se passe que nous nous sommes déjà engouffrés tous les cinq dans deux voitures de service, et que nous filons dans les rues de Paris, le pimpon hurlant aux oreilles des piétons de se bouger le cul pour libérer la trajectoire. 

vendredi 21 février 2014

Le 11 est un petit chapitre. En voici déjà la moitié... 
Chapitre 11
Samedi après-midi…

Je ne suis pas surpris de trouver le boss à son bureau, tout en étant certain que Nigaud ne l'a pas appelé. À peine ai-je mis un pied dans le couloir qu'il me fait signe depuis son aquarium.
-" Je suis étonné de vous voir ici un samedi, Sénéchal. Qu'est-ce qui vous amène ?"

Donc, effectivement, Nigaud ne lui a rien dit. Je me sens assez gland, du coup, face à ce spécialiste de l'analyse froide, avec mon pressentiment et ma réaction à la Zorro. Et sa question n'est pas une simple formule de politesse, il attend une réponse, en plus. Faut dire que je suis assez con pour être passé par l'entrée principale, alors qu'on peut arriver dans la tanière par une porte de service, ce qui explique qu'il n'a vu passer aucun des autres membres de l'équipe. Bon, je lui dis quoi, moi ? La vérité, au risque de passer pour un gros nul, ou un bobard histoire de botter en touche ? J'ai déjà trop attendu pour balancer n'importe quoi.
- " Il est possible que nous ayons un problème, monsieur.
- Un problème ?
- Le lieutenant Le Fur a peut-être disparu.
- Peut-être ?
- Oui. Je n'en sais pas plus pour l'instant, et c'est pour lever le doute que je suis ici. Il y a de grandes chances pour qu'il s'agisse d'une fausse alerte, mais, dans les circonstances actuelles, il ne faut rien négliger, n'est-ce pas ?
- Je ne comprends rien à ce que… Attendez un peu… Vous pensez qu'elle a été victime du tueur ! Et vous essayez de me tenir à l'écart !
- Mais pas du tout ! Je désire simplement vérif…
- Et bien nous vérifierons ensemble. Prévenez l'équipe !
- C'est fait, monsieur. Ils doivent déjà être là."

Fifi me jette un regard qui hésite entre l'étonnement et l'agacement, mais décide de laisser pisser. Il me précède dans le couloir et file vers la tanière à grandes enjambées. Les quatre autres sont attablés, silencieux. Ils sont laissée vacante la place préférée de la Belette, et tirent des tronches de chambre funéraire, ce qui a le don de me mettre immédiatement en colère. Sans laisser à mon pourtant supérieur le loisir d'ouvrir son débit de conneries, j'attaque :
-" C'est quoi ces gueules ? Vous avez choppé la courante ? Y'a un virus qui traine ? Alors, on se bouge, et on annonce, chacun à son tour, ce qui est susceptible de nous aider à loger le lieutenant Le Fur, qui, jusqu'à preuve du contraire, est sans doute en week-end à se dorer la pilule. Migaud, tu commences !
- Ben, j'ai pas grand-chose de plus que ce que je vous ai dit au téléphone, capitaine. J'ai simplement pu repérer l'adresse à laquelle elle se trouvait lors du dernier appel reçu par son téléphone mobile, avant qu'il ne soit déconnecté. C'était à 21 heures, hier soir, et elle était à la salle de gym de la rue des Biscoteaux, ce qui est normal. Elle y a un abonnement, et va tirer sur la fonte tous les vendredis soirs, jusque vers minuit. Le seul truc qui cloche, c'est justement qu'après cet appel, qui provenait de sa mère, elle a coupé son téléphone, or elle ne le fait jamais.
- Elle est peut-être tombée en panne de batterie, " tente Ferricelli.
- "Non, monsieur, c'est impossible. Elle fait très attention à ça, et emporte toujours deux chargeurs avec elle ; un secteur, et un qui se branche dans la voiture. Elle n'a qu'une trouille, dans la vie, c'est que sa mère, qui est malade, se trouve dans l'impossibilité de la joindre.
- Je maintiens qu'il est possible, même si c'est improbable, qu'elle soit tombée en panne sans s'en rendre compte." Faut pas contrarier Fifi avec des sentences définitives ! Toujours laisser une part raisonnable au doute… Je reprends la main, et demande à Nigaud :
- Es-tu passé à la salle, demander si elle était bien là, hier, et si elle est partie comme d'habitude ?
- J'y suis allé ce matin, mais elle est fermée. Jean-Pierre, le proprio, a collé un mot sur la porte pour expliquer qu'il a été obligé de filer à la première heure en province pour raisons familiales, et que la salle restera bouclée jusqu'à jeudi ou vendredi. Par ailleurs, je suis allé dire bonjour à sa maman, en expliquant que je rentrais de vacances et que j'avais perdu mes clés, pour ne pas l'inquiéter. Elle m'a dit que sa fille était passée la voir jeudi soir, comme d'habitude, et qu'elle ne l'attendait pas avant déjeuner demain midi, comme d'habitude également.
- Ok, et les autres, vous avez quelque chose ? "
Les deux vieux se consultent du regard, puis font "non" de la tête, de conserve. Romagne, qui est notre spécialiste de l'infiltration, se gratte la gorge, et propose du bout des lèvres de consulter ses cousins histoire de vérifier que la disparition d'Isabelle n'a rien à voir avec la pègre… Ça ou rien… D'un signe de tête, je lui fais signe qu'il peut toujours tenter le coup. Je relance Migaud :

-" Dis donc, grand, et ces recherches mystérieuses que tu as menées toute la semaine ?"
Vous l'attendiez... Voilà, c'est fait :-) Fin du chapitre 10

Je ne vous raconte pas l'accueil que nous a réservé mon pote Jipé hier soir. N'insistez pas, ça vous déprimerait, vu que vous n'aurez jamais le même ! Tout ce que je peux vous dire, c'est que Maud a apprécié au-delà de mes espérances. Du coup, nous avons trainé dans les toiles jusqu'à ce qu'il soit temps de se préparer pour la tortore de midi. Là, je vous raconte, quand même. Après différents amuse-gueules (je sais que le terme n'est plus à la mode, mais je l'aime bien, et c'est mon bouquin), en matière de hors d'œuvre, le chef nous avait confectionné une terrine de moules aux algues. Évidemment, dit comme ça, ça fait plus altermondialiste que gastronomique. Mais ça vaut plus que la peine de goûter, promis. En entrée chaude, un foie gras de canard poêlé en crumble de pommes caramélisées au vieux marc, et en plat de résistance, une grisette de porc fermier aux girolles. Vous ne connaissez pas la grisette ! Bon, notez. Pour faire une bonne grisette, il vous faut avant tout une rouelle de porc de first quality. Pas du cochon à la hollandaise, élevé sur claie et passé à la javel tous les jours ! Non, un vrai porc de ferme, bien gras, bien dégueulasse, qui vit dehors, se roule dans la fange, et mange toutes les épluchures. Parce que c'est ça qui lui donne son goût inimitable. Vous dégraissez la rouelle et la détaillez en gros morceaux vaguement cubiques, que vous mettez à froid dans une grande gamelle avec deux échalotes du Léon, un gros oignon de Roscoff planté de deux clous de girofle ramenés à Lorient par la Compagnie des Indes, deux carottes de Tréflez, et quelques branches d'estragon d'où vous voulez, on s'en fout. Vous couvrez d'eau froide et faites cuire à frémissement pendant deux bonnes heures, puis vous réservez la viande. Ensuite, vous faites revenir vos girolles dans une quantité suffisante de beurre salé, jusqu'à évaporation de l'eau des champipis. Vous épongez le beurre restant (c'est pour ça qu'il en faut une quantité suffisante au départ) avec une cuillerée à soupe de farine de Sarrazin, que vous montez en roux blond avec le jus de cuisson du porc (non, il ne fallait pas le jeter ! Une recette, ça se lit une première fois en entier, avant de commencer !), jusqu'à la consistance d'une crème onctueuse. Vous replacez la viande dans la sauce ainsi obtenue, et juste avant de servir, vous versez dans ce mélange vingt centilitres de crème fraiche mélangés à deux jaunes d'œuf crus. Vous accompagnez la viande avec un riz blanc que vous dressez dans de grandes assiettes creuses. D'accord, ce n'est pas diététiquement correct comme mélange. D'accord, ce n'est pas non plus conforme à la présentation chichiteuse de la cuisine gastronomique moderne. D'accord. Mais c'est bon, mais bon… J'attaque justement ma deuxième assiette quand le fils de Jipé, gamin de huit ans fort dégourdi, mais qui a oublié de se moucher ce matin, vient me prévenir en reniflant que mon téléphone portable carillonne dans la charrette, où j'ai pris grand soin de l'oublier hier soir. Je réponds au gosse qu'il est super sympa, mais que s'il s'occupait de son derche plutôt que de mon biniou, ça me ferait des vacances, vu que j'attends de nouvelles de personne puisque, Maud mise à part, je suis seul au monde, et que si c'est mon boss, il est prié de respecter le repos du véquande. Le gamin ne se démonte pas pour si peu, attend la fin de ma réponse très poliment, ce qui laisse le temps à une limace verdâtre d'un bon centimètre de venir lui renifler la lèvre supérieure, la récupère d'un vigoureux reniflement que les zincs pétrolophiles de Giscard auraient appréciés en connaisseurs, et me rétorque que lui n'en a strictement rien à faire, mais que comme le téléphone en question sonne sans quasiment discontinuer depuis neuf heures ce matin, y'a des clients qui renaudent. Je lui réponds que petit con pourquoi tu l'as pas dit plus tôt et je me trisse vers ma bagnole, hésitant entre la colère et l'inquiétude. Si c'est Fifi, je l'envoie paître. Si c'est pas lui, ben… Qui ça peut être ?

-" Ah patron ! Enfin !
-"Nigaud ! Tu parles d'une heure pour venir f…
- Isabelle a disparu !
- Qui ?
- Isabelle Le Fur !
- Qu'est-ce que tu veux dire, par elle a disparu ?
- Ben, qu'elle est pas là.
- Mais là, où ? Sois un peu précis, bordel !
- Elle n'est pas rentrée à l'appartement cette nuit.
- Dis moi, Nigaud, juste comme ça, en passant, vous êtes mariés ?
- …
- Concubins ? Pacsés ? Amants ? Ensembles d'une quelconque manière ?
- Euh…
- Non, n'est-ce pas, vous êtes bêtement colocataires, si je ne m'abuse. Je te signale que cette demoiselle, fort appétissante et pleine de tempérament, est majeure, vaccinée, et qu'à cette heure-ci, elle doit être, comme moi, en train de se taper la cloche avec son coup de cette nuit. Faut te faire un dessin ?
- Déconnez pas capitaine. Vous la connaissez pas comme moi. Elle n'aurait jamais dé…
- Attends grand. Tu ne serais pas en train d'essayer de me dire que la Belette n'a pas de vie sexuelle, qu'elle est pure et…
- Mais arrêtez de dire n'importe quoi, merde, je suis sérieux. On a un code entre nous, pour ça. Elle ne serait jamais sortie sans me prévenir, soit par sms, soit par téléphone, et je fais pareil de mon côté.
- Tu fais pareil ?
- Ouais, enfin, je ferais pareil si y avait matière, quoi. Là, rien, et quand j'appelle son mobile, je tombe directement sur boite vocale. Elle le coupe jamais, son téléphone, et trimballe toujours deux chargeurs avec elle de peur de manquer un appel important."

Je sens le grand au bord de la panique. Vous me direz, je suis pas son père, et je pourrais l'envoyer gentiment tester à son tour la qualité de l'accueil chez les hellènes mâles, mais je sens comme un début de très sale pressentiment. Je n'ai jamais connu Nigaud dans cet état. Il manque d'assurance, c'est certain, mais il le vit de façon naïve, avec une placidité étonnante. Ce coup de stress mérite sans doute d'être pris au sérieux. Après tout, la gamine a été mise très en avant, dans notre opération de com. L'atteindre, elle, c'est nous atteindre tous, de manière éclatante. Et attaquer pendant le week-end, alors que les gardes sont baissées, c'est bien un truc de tordu redoutablement intelligent comme dirait Fifi. Je sens que la paix de mon ménage va connaître un nouveau coup de mou, mais ma décision est prise : on rentre fissa. En retournant vers la salle à manger, je donne mes ordres au grand :
- " Bon écoute, je saute dans ma bagnole le temps de replier les gaules. Avec le gyro, j'en ai pour une grosse heure. Tu bats le rappel de l'équipe, et on se retrouve au bureau. Je sais pas ce qu'on va y faire, mais si vraiment elle a disparu, je te promets qu'on la retrouvera. En revanche, Nigaud, si elle se pointe la bouche en cœur de retour d'un rencart, tu peux dire adieu à ton compte d'épargne logement, parce que tu seras à l'amende d'un diner de gala pour toute l'équipe !
- Dépêchez-vous, patron."
Il a, pour me dire ça, la toute petite voix d'un gamin terrorisé, et je regrette aussitôt ma vanne, d'autant que ma promesse est, elle aussi, des plus stupides. Bien sûr qu'on va la retrouver, la Belette, mais dans quel état ?

Dès que j'entre dans la salle à manger, Maud comprend que la situation est sérieuse. Elle se lève en me disant simplement :
-" J'en ai pour cinq minutes à boucler la valise."
Je mets ce temps à profit pour prendre congé de l'ami Jipé en votant mes félicitations au chef. Mais déjà, Maud est de retour. Nous grimpons dans la caisse, et, le gyrophare collé sur le toit, je fais donner les injecteurs. Pendant le trajet, je déroge à la règle que je me suis imposée jusque là de ne jamais lui parler de mon boulot, et je lui résume succinctement l'affaire. Elle ne dit rien. Pose juste la main sur mon épaule quand j'évoque le sort possible de la môme Le Fur. Nous sommes à Paname en moins d'une heure et quart. Je la drope près d'une bouche de métro au passage, et file aussitôt au 36.