Chapitre 20
Comment voulez-vous que je sache ?
Un chien
me lèche le visage. Ce doit être un gros chien, parce qu'il a une putain de
langue qui sent l'éponge sale. Puis le chien me parle. C'est drôle, il a la
voix de Romagne. Faudrait que quelqu'un rallume, parce que j'aimerais bien voir
la gueule d'un chien avec une langue en éponge et la voix de Romagne, moi. Mais
tout reste noir.
Je me
réveille dans un lit, mais c'est bizarre, parce que j'ai un truc sur le corps,
or je dors à poil, rapport à ma claustrophobie. Je ne supporte pas l'idée
d'être entortillé dans quoique ce soit. Et justement, ce truc autour de moi me
serre et me coince les…
-"
Mais arrêtez de vous agiter comme ça ! Vous faites sauter les pansements !
- Allumez
la lumière, merde !
- On ne
dit pas merde, mais s'il vous plaît."
Bon, c'est
clair, je suis dans un hosto. Il n'y a qu'une infirmière pour parler à un quasi
quinquagénaire comme s'il était débile ou qu'il avait cinq ans. Mais déjà, elle
poursuit :
-"
D'ailleurs, elle est déjà allumée, la lumière. si vous êtes dans le noir, c'est
à cause des pansements que vous avez autour de la tête. Si vous êtes bien sage,
le docteur a promis de vous les enlever demain."
Un seul
truc me retient de lui décrire par le menu ma conception de la sagesse à
pratiquer avec une infirmière : c'est l'idée que Maud pourrait être dans la
pièce. C'est chiant, d'être aveugle ! Tiens, puisque c'est comme ça, je me
rendors !
On m'a
assis dans mon lit, et on triture ma caboche en me parlant gentiment. Ce n'est
pas l'infirmière de la dernière fois, c'est un homme. Et la lumière fut !
Dans la
journée, j'ai le droit à une litanie de visites qui m'enchantent et qui
m'épuisent. J'ai le tonus d'un canari anémique. Maud est tendrement maternelle,
et, pour une fois, elle n'en fait pas trop. Donc j'ai été salement touché. Puis
mes lieutenants, en délégation, commencent par m'annoncer qu'ils n'ont pas
encore révélé à Fifi que j'étais réveillé. Ensuite, ils me font un rapide
résumé de ces quinze derniers jours. Quinze ! Nous sommes donc mardi, deux
semaines et un jour après que François Leclerc m'ait collé un pruneau dans la tête
(cette précision pour compléter le titre du chapitre). J'apprends ainsi que
c'est Romagne qui m'a récupéré, parce que quand j'ai composé le numéro abrégé
de Maud, et qu'elle n'a rien entendu à l'autre bout du sans fil, elle s'est
souvenue que je gardais les numéros de portable des collègues dans un agenda,
dans le tiroir de ma table de nuit, et elle a ainsi pu le prévenir. Comme mon
mobile émettait toujours, il a fait faire un repérage GPS, et il est arrivé
aussi vite que possible pour organiser les secours et délivrer la miss Tamert
qui commençait à être sérieusement courbatue. On m'explique encore qu'entre
Leclerc et moi, il y a eu match nul, à ceci près que mon Police Constrictor
crache du 10.72 à charge molle, peu précis, mais capable d'arrêter un éléphant
en colère, alors que cette tafiole utilisait un Deranger à deux coups, une arme
d'une grande précision dont les projectiles de 5.385 ne font heureusement que
des trous de balles de pucelle anorexique. Comme quoi, c'est toujours la même
rengaine : un bricoleur, même doué, ne peut rien contre un professionnel bien
équipé. La preuve, lui est mort, et c'est à ses empreintes qu'on l'a identifié,
si vous voyez ce que je veux dire, et moi, je vais globalement bien, le
pronostic vital n'est plus engagé, même si j'ai quand même eu la matière grise
labourée par un morceau de métal, sans compter les dégâts que les chirurgiens
ont pu provoquer pour récupérer ce petit bijou, et j'aurais une cicatrice
grosse comme une brulure de cigarette sur le front. Il faut quand même que je
m'attende, a minima, à une longue période de convalescence. Là, je les sens
gênés, mes gaziers… Et quand j'insiste, ils se mettent à regarder qui le
plafond, qui ses chaussures ce qui finit par me faire flipper. J'actionne avec
vigueur la sonnette dont est dotée ma tête de lit, et le toubib se radine
quelques minutes plus tard pour m'informer qu'il est vraisemblable, pour ne pas
dire probable, voire certain, que j'aurais des séquelles. Sauf qu'il est
incapable d'en préciser la forme ou la gravité. Certaines de mes capacités
seront sans doute altérées, mais seul le temps dira lesquelles. J'ai déjà
beaucoup de chance d'être vivant, et de ne pas avoir perdu la vue, ni l'ouïe,
ni l'odorat (ça sent l'hosto), ni le toucher. Pour le goût, on attendra la
tortore de midi. En tout état de cause, je suis bon pour un long arrêt de
travail. Et les bonnes nouvelles ? On attend que je sorte de l'hosto pour
me remettre la médaille d'or du mérite citoyen de la préfecture de police avec
palmes et tuba, au motif que je suis responsable de la disparition de notre
Saigneur. Youpiiie. Fifi a largement profité de mon absence pour occuper la une
des journaux, sans même se faire accompagner de la Belette, because même plus
besoin. Tant mieux pour lui, pour ce que j'en ai à faire. Pour moi, le laurier
est une plante aromatique, alors…
Une
semaine plus tard, je suis de retour au bercail. Maud a demandé à une copine
(la nouvelle maîtresse d'un de ses ex…) de lui donner un coup de main à la
galerie, ce qui lui permet de dégager du temps pour s'occuper de moi. C'est pas
que j'en ai besoin, notez, mais ce serait stupide de le lui dire. C'est si
agréable de se faire chouchouter un peu. Le seul hic, c'est qu'elle m'estime
encore trop faible pour le tagada. Et comme la chose me manque, je m'applique
bien à faire tous mes exercices de rééducation, à prendre tous mes médicaments,
et à suivre mon régime, parce que cet empaffé de toubib a profité de mon coma
pour me trouver du cholestérol et des triglycérides. Je vous signale, en passant,
que mon sens du goût va très bien, et me permet de confirmer que la bouffe
hypocalorique, hypolipidique, hypoglucidique, et tout juste équiprotéïque, avec
beaucoup de fibres, c'est pas bon. Vous vous doutez bien qu'au bout de huit
jours de ce régime, je bous ! Et voilà-t-y pas que ce matin, le journal que je
lis en prenant mon absence de petit dèj titre : "Le Saigneur est de retour
!"
Je saute
immédiatement en page 2. La photo me laisse une désagréable impression de déjà
vu. La maison dans laquelle on a retrouvé le corps est le pavillon témoin d'un
petit lotissement sis sur la commune de Pinard sur Lie. La victime se nomme
Dominique Tamert, quarante neuf ans. Elle était la promotrice de cette petite
opération immobilière réalisée sur un terrain de famille, et vivait seule sur
le domaine depuis la paralysie du chantier par un mouvement revendicatif des
salariés de l'entreprise générale de bâtiment titulaire du marché des travaux.
Étrange, mais ça me rappelle quelque chose… Elle a subi quarante-huit heures de
tortures et de violences diverses perpétrées essentiellement avec des cordes,
et a fini étouffée après avoir été saucissonnée très serré avec un lien en cuir
détrempé qui s'est rétracté en séchant. Je n'aurais finalement accordé à cette
pauvre femme que trois semaines de vie supplémentaires. Le coup est rude à
digérer. Le copieur a décidé de remettre le couvert en reprenant la série là où
elle a été fatale à son modèle. Mais ce nouveau tueur est différent du premier,
qui faisait tout pour passer inaperçu. Chez son héritier, si l'on retrouve le
même sadisme absolu, il est ici mâtiné de vanité et de recherche de
reconnaissance. Le meurtre de la femme du commissaire Ferricelli était
clairement un défi lancé aux forces de police, et singulièrement à notre brigade.
Le tueur était certain, avec lui, d'obtenir la une des journaux. Cette
agression-ci relève de la même volonté. Je mettrais ma main au cul de Paris
Hilton que nous l'aurons beaucoup plus rapidement, celui-ci. Après tout, si
François Leclerc a pu faire treize victimes avant d'être mis hors d'état de
nuire, c'est uniquement parce que personne, avant Ferricelli, ne s'était rendu
compte qu'il s'agissait d'une série. Dès qu'on l'a cherché, on l'a trouvé.
Toutes ses victimes sont antérieures au début de notre intervention, à
l'exception de la Belette et de madame Tamert, qui lui ont échappé, au moins un
temps, grâce à notre action. Dans le cas présent, nous sommes prévenus. La
course contre la montre est engagée.
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