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mercredi 12 mars 2014

Oui oui, je vous ai laissé tomber, hier... C'était pour soigner le suspince avant l'épilogue... Parce qu'après, ben... C'est fini...
EPILOGUE
Une quinzaine de jours plus tard.
C'est aujourd'hui que je réintègre mon bureau. Je n'ai finalement aucune séquelle de ma blessure, le toubib m'a donc déclaré apte au service. Psychologiquement, ça roule également. Bien sûr, j'ai quand même un peu flingué mon supérieur jusqu'à ce que mort s'en suive, mais bon. Qui n'en a pas rêvé ? J'ai évidemment eu le droit à mon lot de séances psy et d'évaluations. Apparemment, l'explorateur de moi a été contrarié que je ne ressente aucun remords. Il a parlé de syndrome du justicier solitaire, encore appelé syndrome de Bronson, et déclaré qu'il allait devoir en tenir compte pour rédiger son rapport, et qu'il pensait qu'il me faudrait me résoudre à finir ma carrière dans des services administratifs, pour cause de dangerosité potentielle. Je lui ai expliqué, avec beaucoup de calme et de maîtrise, que s'il me jouait ce tour-là, ma dangerosité chercherait forcément un exutoire, et qu'il ne serait pas bien difficile au mec qui a démasqué le saigneur et son disciple de trouver l'adresse d'un bête psy. Il a fait "heu, oui, bien sûr, d'un autre coté", et il a signé dans la case marquée "apte", lui aussi.

Ça me fait un peu drôle, j'ai l'impression de me retrouver à la rentrée des classes, en primaire. En CM2, pour être précis. Je suis aujourd'hui le plus grand de la cour de récré, puisque aucun commissaire n'a été désigné pour reprendre la place de Fifi. Il paraît que les volontaires ne se bousculent pas…

J'ai payé mon coup à la machine à café, toute ma basse-cour était là, bien contente de me voir revenir. On a plaisanté un quart d'heure, échangé les dernières nouvelles de notre affaire… On aurait bien aimé glisser les déchets sous le tapis, en haut-lieu, mais la ficelle était un peu grosse. Les journaux ont eu droit à toute la vérité, servie sur un plateau et sans langue de bois par un conseiller du ministre de l'intérieur qui avait passé deux heures à la maison à se faire tout expliquer. Du coup, ils ont été tout déçus, les journaleux… Pas même l'ombre des prémices d'un début de parfum de scandale à déterrer. On a quand même eu la une, mais de justesse, et une seule journée. De ce fait, même si j'ai tué le méchant dans la scène finale du duel, vous savez quoi ? Je ne suis pas le héros. Personne ne me reconnait dans la rue, et c'est aussi bien comme ça. La célébrité, il faut commencer quand on est jeune et beau. Sinon, ça ne vaut pas la peine. Je passe devant le bureau vide de Ferricelli. Pas un papier n'y traine. Il est parti sans laisser de trace. Comme je pousse la porte du mien, j'ai la surprise de voir qu'il est habité par un quadragénaire froid dont le front, haut et dégarni, arbore l'inscription "ENA" en lettres de dix centimètres de haut. Énarque, mais nouvelle génération, de ceux qui préfèrent jouer les cow-boys blasés plutôt que les prélats conspirateurs. Il est assis dans mon fauteuil, a posé ses Paraboots sur mon bureau, quand ses aînés auraient plutôt glissé leurs Churchs dessous, et fait mine de se curer des ongles déjà traités par une manucure diplômée prénommée Marie-Chantal. Comme j'entre, il me fait signe de prendre place sur le siège du visiteur, et me tient le petit discours suivant :
-" Mon cher ami, je ne vais pas vous faire perdre votre temps, je suis attendu pour un golf. J'irai donc droit au but, sans m'égarer en circonlocutions verbeuses, en dithyrambes surannées, en diatribes aussi pompeuses qu'inutiles, ou en compliments désuets et redondants. En un mot comme en cent, en mille ou en dix mille, je vous dirais ceci, sans précaution oratoire de quelque sorte que ce soit, droit au cœur, avec le langage qu'il faut parler à un homme tel que vous, un acteur et non un hâbleur, un faiseur, et non un diseur, un praticien du combat contre la vermine, et non un théoricien de salon, dissertant dans les cocktails sur l'évolution prévisible de la délinquance, une coupe de champagne à la main…
- Quoi ?
- J'y viens, j'y viens. Quel impatient vous faites ! Mais vous avez raison, bien sûr. Quand on a, comme vous, frôlé de près la mort, on connaît la fragilité d'être et on aspire à vivre sa vie sans temps mort, à profiter de chaque instant, à goûter le sel de l'existence dans chaque détail de chaque moment… Ah, comme je vous envie…
- D'avoir failli être tué ?
- Oui ! Non ! Non, bien sûr que me faites-vous dire là. Non, je vous envie d'être vivant, et de vous voir proposer cette opportunité unique : devenir commissaire spécial détaché.
- Commissaire ?
- Commissaire ! Avec l'indice, les points de retraite, les primes, et même l'ancienneté dans votre ancien grade de capitaine.
- Spécial ?
- C'est spécial, je vous expliquerai
- et détaché ?
- Ça va avec spécial. En fait, vous devenez commissaire pour le grade, et spécial détaché pour la fonction. C'est super, non ?
- Je ne sais pas encore, monsieur… Monsieur ?
- Excusez-moi, j'ai bêtement omis de me présenter… Je suis Sébastien Alexandre Stéphane Demangeais de la Motte, chargé de mission au ministère de l'intérieur, direction de la Sécurité Sûre et Certaine, sous-direction des Opérations Spéciales, bureau des Opérations Spéciales Détachées, mais vous pouvez m'appeler SAS…
- SAS du bureau des Opérations Spéciales Détachées dont dépendent les commissaires spéciaux détachés, je suppose.
- LE commissaire spécial détaché. Car vous êtes unique, mon cher. Il y en eut un, avant vous, que je n'ai personnellement pas connu, et qui est à la retraite, maintenant. Vous serez le deuxième.
- Si j'accepte.
- Si vous accep… Mais toute autre hypothèse est absolument exclue, sous peine de contrôle fiscal d'une certaine galerie d'art, sans vouloir vous commander.
- Et bien au moins, vous êtes direct !
- Je peux me le permettre, j'ai fait tester ce bureau, il n'y a pas ici de micro ou d'enregistreurs, alors… Votre parole contre la mienne.
- Sans vouloir vous intimider de quelque façon, je vous signale que le dernier fonctionnaire plus gradé qui a tenté de jouer à ça avec moi a fini dans un tiroir de la morgue.
- J'aime beaucoup votre sens de la répartie, mais enfin, pourquoi voulez-vous refuser une offre pareille ?
- Je n'ai jamais dit que je refusais quoi que ce soit. J'ai seulement signalé que je n'avais pas encore accepté. Nuance…"

Bon, je vous la fait courte, vous avez compris l'essentiel. Je dirige dorénavant une unité spéciale, composée de ma petite équipe, qui interviendra sur des affaires sensibles qui me seront confiées directement par SAS. Je ne dépends de personne, et n'ai de compte à rendre qu'à lui et à un vieux juge, le Président de Sagès, qui sera le garant judiciaire de l'opération. Nous allons avoir droit à un nouveau local, plus discret, tout neuf, avec une enseigne commerciale bidon de société de trading international, des voitures de fonction d'un autre standing, des frais de déplacement non plafonnés… Elle est pas belle, la vie ?





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