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samedi 10 novembre 2012

Quelle bonne pâte, cet Anouilh



Suite d'Antigone, aujourd'hui on attaque l'action, qui va nous tenir en haleine deux jours...

L'action (donc)
Bon, normalement, on résume scène par scène, avant de commenter chaque paragraphe. Sauf qu'Anouilh, pour faire son petit anarchiste de salon, a viré le découpage classique en actes et scènes. Du coup, on est en roue libre jusqu'à la fin de la pièce. Alors, on va se la faire au feeling.

Première scène : Tout le monde.
C'est un peu le bordel sur scène, vu que tous les personnages sont ensemble sur le plateau, et bavardent, jouent aux cartes… Les meufs âgées tricotent. Le Prologue s'avance, et nous balance un monologue de quatre pages. Faut espérer que le mec qui tient le rôle n'a pas une voix trop monotone, moi j'vous l'dit, sinon, ça va ronfler vite fait dans la salle ! Et qu'est-ce qu'il nous raconte, ce type, dans son discours ? Ben tout ! Je résume : Antigone, princesse petite et moche, va se dresser contre Créon, le vieux roi, et mourir, et elle le sait. Hémon discute avec Ismène, mais il se prépare à épouser Antigone, sauf qu'il n'y aura pas de mariage, vu qu'Antigone sera morte. Créon en a marre de se taper le boulot tout seul, pendant qu'Eurydice tricote, parce que c'est tout ce qu'elle sait faire, mais elle aussi va mourir avant la fin, sauf qu'elle, elle ne le sait pas, mais nous si, puisque le Prologue nous le dit. Comme elle est à côté de lui sur la scène, on a le droit de penser qu'en plus d'être inutile, elle est sourde. Le messager n'est pas dans son assiette, vu qu'il sait qu'il lui faudra annoncer la mort d'Hémon, qui donc, lui aussi, va calencher, qui ne le sait pas, et qui doit donc être aussi dur de la feuille que sa mère. On sait aussi que ce sont les gardes qui vont faire le sale boulot, et on apprend même pourquoi cette petite réunion de famille vire à la tragédie. Créon, le nouveau roi, a en effet décidé de faire des funérailles nationales à Etéocle, considéré par lui comme un gentil neveu, mais il exige, en revanche, qu'on laisse aux corbeaux le corps de Polynice, qui, de son point de vue légitimiste, n'est rien qu'un sale voyou qui a vendu sa cité aux étrangers. Et donc, il a condamné à mort par avance quiconque tentera d'enterrer le gamin. Au fur et à mesure du discours, tout le monde file à l'anglaise, jusqu'au Prologue qui se glisse entre parenthèses dès qu'il a fini d'apostropher.
Si vous venez voir la pièce que pour connaître l'histoire, vous pouvez vous casser dès que le Prologue a fini son bla-bla. Le p'tit père Anouilh, il ne rigole pas, quand il veut révolutionner le système. Il nous a viré les actes et les scènes, et voilà qu'il nous bousille le suspense. Car il faut avouer que ce n'est pas bien difficile de deviner ce qui va suivre. Maintenant, puisqu'il s'agit d'un devoir de français, va falloir faire un petit effort. Nous noterons donc que l'auteur suggère que Créon est plutôt moins bon que Salomon, question jugement. C'est vrai ça, pourquoi punir Polybrice, de Nice, au vague motif qu'il aurait trahi la cité, alors que c'est rien que ce sale aîné d'Etéocle qui a commencé en refusant d'appliquer le deal conclu entre les frangins ? Si le premier avait tenu parole, rien ne serait arrivé. Qu'aurait fait Salomon, en pareille circonstance, je vous le demande ? C'est bien simple, il aurait coupé les deux corps en deux parties, en aurait enterré une et donné l'autre à bouffer aux corbeaux, ou à Corneille, à qui l'on ne doit pas ce drame-ci, et c'est bien le seul. Et puis surtout, il n'aurait pas été assez con pour pondre une loi aussi définitive. Salomon, qui avait acquis une sagesse certaine en cheminant sur le sentier, savait, lui, qu'il faut toujours se garder une marge de négociation. D'un autre côté, il aurait été le boss à Thèbes à la place de Créon, y'aurait pas eu de pièce, faut l'admettre.
Et on attaque ce qui n'est pas à proprement parler la scène 2 de l'acte I, mais qui se trouve constituer quand même la deuxième scène du début de la pièce, sauf que c'est marqué nulle part. C'est l'aube, et Antigone rentre au palais en douce, les souliers à la main. Il faut, évidemment qu'elle tombe sur la nourrice, déjà levée, et évidemment inquiète comme une mère poule qu'aurait perdu un œuf. La gamine essaie bien de la convaincre qu'elle a juste été tâter de la rosée, mais la vieille bique, à qui on ne la fait pas, pense qu'elle a rejoint un mec. Antigone joue avec ses nerfs en ne démentant pas, ce qui vénere la nourrice vegra, qui lui dit qu'elle n'est qu'une sale petite dévergondée, vu qu'elle est fiancée à Hémon et que puisque c'est comme ça, elle va tout dire à Créon, et que Créon, il va être drôlement en pétard, et qu'est-ce qu'il va lui passer comme savon ! La fille lui demande de ne pas crier, méchante ! Du coup, la vioque craque complet et fond en larmes en demandant pardon à l'esprit de Jocaste, dont elle n'a pas su élever la fifille correctement. Antigone avoue alors qu'elle n'est pas allée se taper un mec, et glisse, comme ça, l'air de rien, qu'elle n'aura jamais d'autre amoureux qu'Hémon, et là, y'a message, mais chut ! Ismène s'amène alors, et, tandis que la nounou va faire du café, les deux frangines se mettent à papoter d'un projet secret. Antigone veut enterrer son frère. Ismène, qui est une belle poule, mais mouillée, ne veut pas y aller parce que c'est interdit, et qu'on ne plaisante pas avec la loi, d'autant qu'il s'agit ici d'une peine de mort, quand même. Elle explique à Antigone qu'elle a bien réfléchi, toute la nuit, à la douleur du supplice, à la haine de la foule, à la bêtise intransigeante des bourreaux, et qu'à tout prendre, elle trouve plus raisonnable de rester riche, belle et vivante. Antigone lui répond qu'elle aussi elle préfèrerait, sauf qu'elle est laide, qu'elle a le mot raisonnable en horreur, que de toute manière, elle est trop butée pour renoncer, mais que retourne te coucher peinarde, il fait jour maintenant, le corps de Polybrice est gardé, je ne pourrai donc pas agir aujourd'hui. Du coup, Ismène s'emmène.
Et nous, on en profite pour faire une pause et discuter un peu… Franchement, c'était peut-être une bonne pâte, Anouilh, mais comme emmerdeur, il se posait là ! On ne sait plus quand il faut commenter. Tout s'enchaîne sans arrêt. Et comment on fait pour changer les bougies, entre les actes, hein ? Pour résoudre le problème, ils utilisent sans doute des cierges immenses. Au début de la pièce, c'est à peine si on doit voir la tête des acteurs, au dessus… Enfin, revenons à nos moutons. On sait maintenant qu'Antigone est cap de faire le mur, qu'elle a le projet d'enterrer son frangin, mais ça, en s'en doutait un peu, et que sa Barbie de frangine, invitée à la rejoindre, se révèle femme d'inaction. Comme quoi, les poupées, on a beau les trouver bêcheuses, elles préfèrent rouler les pelles que les manipuler ! Mais bon, voilà que déjà, la nounou revient. Chut enfin :
La vieille arrive, avec son café et ses croissants. Et on repart pour une discussion entre les deux meufs. La jeune lui demande des câlins, la vieille ne comprend pas pourquoi. La jeune demande de prendre soin de sa chienne, plus tard, la vieille ne comprend pas pourquoi. La jeune demande même qu'elle euthanasie proprement l'animal, s'il était trop triste, et la vieille ne comprend toujours pas pourquoi. Nous qu'on sait, on la trouve un peu bouchée, la vieille. Mais avant qu'elle ait une chance de commencer à comprendre, voici qu'arrive Hémon amoureux, le Beau Gosse, le fils du roi. La vieille n'est peut-être pas finaude, mais elle est bien élevée. Elle se casse pour laisser se bécoter les amoureux. Enfin, façon de parler. On retrouve ici la patte Anouilh, toute molle. N'espérez pas voir le moindre début de tentative d'essai de baiser, on reste dans le discours. Exclusivement. Mais elle parle d'amour, et de grands serments, et elle veut être sûre, et elle en redemande… Éternelle et féminine question : "tu m'aimes ?". Sachant ce qui s'est passé avant la question, ou, pour les plus lents, les plus timides, ce qui pourrait peut-être se passer après la question, vous en connaissez beaucoup, vous, des mecs qui répondent non ? Ben là non plus. C'est littéraire, donc c'est plus long, mais c'est bien la question qu'elle pose, et la réponse est oui. Alors, imaginez un peu le choc pour le garçon, à la fin de la scène, quand elle lui annonce qu'elle aussi elle l'aime, qu'elle n'aime que lui, qu'elle n'aimera jamais personne d'autre, qu'elle aurait adoré être sa femme, lui donner un fils, qu'elle était même prête à devancer la pelle, juste la nuit précédente, mais bon, c'est raté, dommage, mais que c'est fini, et qu'il doit se tirer sans poser de question ! Et en plus, il le fait, ce con ! C'est alors la frangine qui rapplique, et lui demande une fois encore de sursoir à son funeste projet. "T'es à la bourre", lui répond la petite, "à cause que j'ai déjà commencé".

Pas grand-chose à commenter, ici, le résumé se suffit à lui-même, non ? Tiens, ça me rappelle une blague : monsieur et madame Cusset du Poulay ont un fils. Comment s'appelle-t-il ? Hémon, bien évidemment ! D'accord, elle n’est pas très fine. Mais c'est bien ce qu'il aurait du lui dire, à sa poupée, au lieu de se casser, le petit doigt sur la couture du pantalon, et la baguette sous le bras ! Et ça se dit un homme ! Et fils de roi, en plus ! Une bonne paire de baffes, sur l'air de "t'as fini ta petite comédie ?", et on pouvait encore éviter la tragédie. Mais là… Le proverbe l'explique très bien : "femme au volant, la mort au tournant". Il ne faut pas les laisser conduire ! Jamais ! Même pas une discussion ! Et avec la fin de la scène, on sent que c'est râpé de chez râpé. Elle commence à sentir le roussi, cette histoire. Notons quand même que, pendant une fraction de seconde, plus ou moins longue suivant le metteur en scène, le plateau est vide. On peut donc légitimement penser qu'on est en train de changer d'acte, mais on fait comme si on n'avait rien vu, faut pas contrarier un auteur, il pourrait monter sur ses grands chevaux et nous prendre de haut. Gardons une altitude mesurée… Et remettons à demain la découverte de la suite. Bon dimanche à tous...

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