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jeudi 8 novembre 2012

Salade d'Anouilh



Assez de poésie, repassons aux choses sérieuses avec l'étude d'une nouvelle œuvre complète : Antigone, de Jean Anouilh.

L'Auteur
Rendons à César ce qui est à César, en l'occurrence une partie de cartes fameuse, et à Sophocle l'Antigone d'Anouilh. Le tragédien grec a effectivement inventé l'ensemble des personnages, et les ressorts de l'histoire. Pourquoi, en ce cas, nous intéresser à la copie d'Anouilh, plutôt qu'à l'original, me demanderez-vous avec une touchante naïveté ? Je vous répondrai que c'est parce que c'est celle-ci qui est au programme, et pas l'autre. Je vous rappelle qu'on parle ici d'une épreuve de français, pas de grec ! Et toc.
Jean Anouilh est né en 1910 à Bordeaux, et on découvrira que ce n'est pas innocent. Sa mère est musicienne. Elle enseigne le piano. C'est à cet environnement que l'on peut attribuer son goût pour les graves, qu'il s'agisse de sons, de vins, ou de sujets, vu que c'est quand même un gros pessimiste, le Jeannot. Pendant qu'il suit sa mère dans ses tournées de concerts en province, son père est tailleur, et cette absence de la figure paternelle explique l'attirance obsessionnelle d'Anouilh pour cette autorité bornée qui lui manqua tant, et qui constitue thème central de la pièce étudiée ici.
Jean Anouilh monte ensuite à Paris et rentre au collège Chaptal - du nom du médecin qui inventa la chaptalisation, méthode qui permet de renforcer la teneur en alcool d'un vin… On n'échappe pas à son destin -. Très jeune, il se prend de passion pour le théâtre, et les Jean qui s'y intéressent, notamment Giraudoux et Cocteau. Ils créent à eux trois un groupe de musique folklorique bretonne, tout simplement nommé "trois Jean", qui obtiendra une certaine notoriété sous la traduction bretonne de ce nom : "Tri Yann", surtout dans la région qui s'étend de Nantes à Montaigu, dont la digue est restée célèbre. Cette expérience de la scène le conforte dans son goût pour le spectacle, mais il trouve médiocre la carrière de comédien, et décide de s'élever en devenant… auteur !
En 1929 (vingt neuf, vin nouveau… le destin, vous dis-je) il devient le secrétaire de Louis Jouvet, et aime se taper une fillette de blanc, avec lui, de temps en temps. N'allez pas en déduire pour autant qu'ils étaient pédophiles, partouzeurs et racistes. Effectivement, dans le théâtre français d'alors comme c'est encore le cas aujourd'hui, les femmes étaient plutôt nombreuses, jeunes, jolies, prêtes à tout pour arriver, et majoritairement blanches, c'est un fait. Une fillette n'en reste pas moins une bouteille de Muscadet de 50 cl. Comme Louis Jouvet ne se prénomme pas Jean, et qu'il refuse même de consentir à un pâle Jean-Louis, Anouilh refuse de l'incorporer à son groupe. La situation devient alors tendue entre les deux hommes, mais Jean Anouilh décide néanmoins de poursuivre dans le théâtre.
Sa première pièce, l'Hermine (1932), est justement tirée d'une chanson à succès de son groupe, "la blanche hermine". Elle ne lui offre qu'un succès d'estime. C'est qu'il n'est pas facile de pondre cinq actes à partir d'une seule chanson. Il faut attendre 1937 pour qu'il connaisse enfin un premier vrai succès avec le Voyageur sans bagages, pièce visionnaire qui annonçait l'arrivée de Jack Lang au ministère de la culture avec près d'un demi-siècle d'avance. La prescience est une qualité commune aux vrais artistes. D'ailleurs, l'année suivante, il remet le couvert avec une pièce intitulée "la Sauvage", qui prédit l'avènement de Margareth Thatcher en Angleterre, et confirme sa notoriété d'auteur devin, ce qui s'impose, pour un bordelais.
Puis éclate la seconde guerre mondiale. Pendant l'occupation, Jean Anouilh ne prend position ni pour la collaboration, ni pour la résistance, comme quatre-vingt quinze pour cent des français. Mais, à lui, on le reprochera. En 1944 il créé Antigone. La pièce connaît un vrai succès public mais engendre une polémique. Certains reprochent à Anouilh de défendre l'ordre établi en faisant la part belle à un Créon qui ressemble à Pétain, tandis que d'autres estiment qu'il soutien le combat désespéré d'une résistance qui aurait les traits d'Antigone. Comme quoi, on peut écrire ce que l'on veut, il y aura toujours des gens plus intelligents que vous pour vous expliquer ce que vous avez vraiment voulu dire.
On notera, à titre accessoire, qu'Anouilh n'a jamais mis les pieds à Lyon. Antigone n'a donc rien à voir avec un manifeste contre la jeunesse (celle-ci est spécialement dédiée aux lyonnais)
Anouilh est mort en 1987. Tant pis.

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