Assez de poésie, repassons aux choses sérieuses avec l'étude d'une nouvelle œuvre
complète : Antigone, de Jean Anouilh.
L'Auteur
Rendons
à César ce qui est à César, en l'occurrence une partie de cartes fameuse, et à
Sophocle l'Antigone d'Anouilh. Le tragédien grec a effectivement inventé
l'ensemble des personnages, et les ressorts de l'histoire. Pourquoi, en ce cas,
nous intéresser à la copie d'Anouilh, plutôt qu'à l'original, me
demanderez-vous avec une touchante naïveté ? Je vous répondrai que c'est parce
que c'est celle-ci qui est au programme, et pas l'autre. Je vous rappelle qu'on
parle ici d'une épreuve de français, pas de grec ! Et toc.
Jean Anouilh
est né en 1910 à Bordeaux, et on découvrira que ce n'est pas innocent. Sa mère
est musicienne. Elle enseigne le piano. C'est à cet environnement que l'on peut
attribuer son goût pour les graves, qu'il s'agisse de sons, de vins, ou de
sujets, vu que c'est quand même un gros pessimiste, le Jeannot. Pendant qu'il
suit sa mère dans ses tournées de concerts en province, son père est tailleur,
et cette absence de la figure paternelle explique l'attirance obsessionnelle
d'Anouilh pour cette autorité bornée qui lui manqua tant, et qui constitue
thème central de la pièce étudiée ici.
Jean Anouilh
monte ensuite à Paris et rentre au collège Chaptal - du nom du médecin qui
inventa la chaptalisation, méthode qui permet de renforcer la teneur en alcool
d'un vin… On n'échappe pas à son destin -. Très jeune, il se prend de passion
pour le théâtre, et les Jean qui s'y intéressent, notamment Giraudoux et
Cocteau. Ils créent à eux trois un groupe de musique folklorique bretonne, tout
simplement nommé "trois Jean", qui obtiendra une certaine notoriété
sous la traduction bretonne de ce nom : "Tri Yann", surtout dans la
région qui s'étend de Nantes à Montaigu, dont la digue est restée célèbre.
Cette expérience de la scène le conforte dans son goût pour le spectacle, mais
il trouve médiocre la carrière de comédien, et décide de s'élever en devenant…
auteur !
En 1929
(vingt neuf, vin nouveau… le destin, vous dis-je) il devient le secrétaire de
Louis Jouvet, et aime se taper une fillette de blanc, avec lui, de temps en
temps. N'allez pas en déduire pour autant qu'ils étaient pédophiles,
partouzeurs et racistes. Effectivement, dans le théâtre français d'alors comme
c'est encore le cas aujourd'hui, les femmes étaient plutôt nombreuses, jeunes,
jolies, prêtes à tout pour arriver, et majoritairement blanches, c'est un fait.
Une fillette n'en reste pas moins une bouteille de Muscadet de 50 cl. Comme
Louis Jouvet ne se prénomme pas Jean, et qu'il refuse même de consentir à un
pâle Jean-Louis, Anouilh refuse de l'incorporer à son groupe. La situation
devient alors tendue entre les deux hommes, mais Jean Anouilh décide néanmoins
de poursuivre dans le théâtre.
Sa première
pièce, l'Hermine (1932), est justement tirée d'une chanson à succès de
son groupe, "la blanche hermine".
Elle ne lui offre qu'un succès d'estime. C'est qu'il n'est pas facile de pondre
cinq actes à partir d'une seule chanson. Il faut attendre 1937 pour qu'il
connaisse enfin un premier vrai succès avec le Voyageur sans bagages, pièce visionnaire qui
annonçait l'arrivée de Jack Lang au ministère de la culture avec près d'un
demi-siècle d'avance. La prescience est une qualité commune aux vrais artistes.
D'ailleurs, l'année suivante, il remet le couvert avec une pièce intitulée
"la Sauvage", qui
prédit l'avènement de Margareth Thatcher en Angleterre, et confirme sa
notoriété d'auteur devin, ce qui s'impose, pour un bordelais.
Puis éclate
la seconde guerre mondiale. Pendant l'occupation, Jean Anouilh ne prend
position ni pour la collaboration, ni pour la résistance, comme quatre-vingt
quinze pour cent des français. Mais, à lui, on le reprochera. En 1944 il créé Antigone.
La pièce connaît un vrai succès public mais engendre une polémique. Certains
reprochent à Anouilh de défendre l'ordre établi en faisant la part belle à un
Créon qui ressemble à Pétain, tandis que d'autres estiment qu'il soutien le
combat désespéré d'une résistance qui aurait les traits d'Antigone. Comme quoi,
on peut écrire ce que l'on veut, il y aura toujours des gens plus intelligents
que vous pour vous expliquer ce que vous avez vraiment voulu dire.
On notera, à
titre accessoire, qu'Anouilh n'a jamais mis les pieds à Lyon. Antigone n'a donc
rien à voir avec un manifeste contre la jeunesse (celle-ci est spécialement
dédiée aux lyonnais)
Anouilh est
mort en 1987. Tant pis.
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