Comme je vous l'ai promis hier, nous poursuivons l'étude de Dom Juan par une présentation des protagonistes de l'affaire
Les Personnages
Cette
comédie dramatique comporte un nombre important de personnages, ce qui prouve
qu'à l'époque où elle fut écrite, les charges sociales étaient supportables
pour un directeur de troupe. En fait, elles n'existaient pas, ce qui
simplifiait le problème.
Vous
aurez noté dès le titre de la pièce que les noms de famille précèdent les
prénoms, comme cela se pratique dans l'administration. Nous sommes ainsi en
présence de membres d'une même famille, la famille Don. D'un côté, on a donc
Louis Don, le père, et Juan Don, son fils. D'un autre côté, on a Carlos, Alonse
et Elvire Don, deux frères et une sœur d'une autre branche de la famille Don.
Même s'ils sont très présents, ce ne sont pas des cadeaux que ces Don là.
Avant
le début de la pièce, Elvire a épousé Juan. Donc Carlos et Alonse sont les
beaufs de Juan, et Louis le beau-dabe d'Elvire. Vous suivez ? Il ne faut
surtout pas se laisser désarçonner par le fait qu'ils ont tous le même nom.
D'une part, l'action se déroule au sein de la noblesse, où l'on pratique
volontiers le mariage consanguin. D'autre part, on notera que les auteurs ont
situé l'intrigue dans un royaume qui ressemble beaucoup à l'Espagne, pays dans
lequel le nom "Don", ou "Dom" est assez répandu. C'est un
peu l'équivalent de notre Dupont, si vous voulez. En fait, on va étudier ici
l'histoire d'un mec qui, en gros, s'appelle Jean Dupont. Avouez que ça
démystifie un max, non ?
Le
fait de situer l'histoire en Espagne, ou, plus exactement, dans un royaume qui
lui ressemble comme un jumal, a un double but. Si les auteurs ont choisi cet
artifice, c'est en effet pour leur permettre de critiquer un milieu - la
noblesse - en laissant supposer que la critique porte en fait sur un pays
concurrent, dont les nobles ne sont évidemment rien que des barbares et des
malfaisants, afin que la noblesse d'ici ne se sente pas trop directement
concernée, parce qu'on ne sait jamais, avec ces gens-là, vu que certains
d'entre eux connaissent le roi et que d'autres financent les pièces ! Donc,
jouer les bouffons, d'accord, mais avec prudence, c'est-à-dire en sauvant les
apparences. On notera également qu'Elvire est décrite comme la légitime épouse
de Juan (sa meuf ). Il est nécessaire de préciser ce détail, vu que le Juan, à
la manière du pou sur les cheveux, ou du morpion sur… le joueur de
tabac-presse, le Juan disais-je, a la manie de sauter sur tout ce qui porte une
robe et qui bouge. On prétend même qu'un certain évêque… Et que c'est pour ça
que le Bon Dieu… J'anticipe, mais notez-le déjà, avec Don Juan, l'orthographe
est importante: Il préfère l'X dans le pieu qu'à son extrémité…
Un
autre type important, c'est le valet de Juan, un nommé Sganarelle. Il ne le
quitte pour ainsi dire jamais. L'artifice est assez grossier. Quand Juan parle
à Sganarelle, c'est en fait au public qu'il envoie son message, mais l'air de
rien. De même, quand Sganarelle lui dit des trucs, c'est les trucs que les
auteurs pensent que le public voudrait dire à Juan. Si le public est d'accord,
il fait oui, oui, de la tête, mais dans le noir ça ne se voit pas. S'il n'est
pas d'accord avec ce que dit le valet, en revanche, il n'en a rien à foutre, vu
que, justement, c'est pas lui qui cause, c'est Sganarelle ! Si certains
trouvent la méthode originale, c'est qu'ils feraient mieux d'aller plus souvent
au théâtre.
Les
autres personnages sont des seconds couteaux dont on peut quand même dire un
mot. Il faut savoir en effet que Poquelin avait exigé de tous ses
afro-scénaristes (le terme "nègre" est aujourd'hui politiquement
incorrect dans une analyse littéraire) qu'ils donnent aux personnages
secondaires des noms significatifs, pour qu'il puisse les reconnaître et ne les
mélange pas, vu que ce n'est pas lui qui écrivait. Par exemple, Gusman, c'est
l'écuyer d'Elvire. Son nom signifie combien il a peu d'importance. Il est
n'importe qui, un gus quelconque, Man, yo ! Charlotte, Mathurine et Pierrot
sont les paysans du coin, et donc ils sont pauvres et analphabètes, vu qu'à
l'époque, on ne connaissait ni la politique agricole commune, ni les
médiathèques dans les bourgs de campagne. C'est également un moyen de flatter
un peu la noblesse qui constitue l'essentiel de l'assemblée et qui, peut-être,
aurait pu ne pas être complètement convaincue par le coup de l'Espagne. On
n'est jamais trop prudent. Donc, les cons, c'est le bas-peuple, et tout le
monde est content, vu que le bas-peuple en question n'est pas invité aux
représentations, et que, du coup, il ne sait pas que les particulés se moquent
de lui dans son dos.
Mais
poursuivons notre découverte des personnages. La Ramée, c'est un spadassin,
c'est-à-dire un soldat d'un autre pays, qui est là pour le pognon. Un casque
bleu de l'époque, en quelque sorte. Son nom peut signifier deux choses. Soit il
est bête, et donc, il rame, en termes populaires (comme dans l'expression
"arrête de ramer, t'attaque la falaise"), soit c'est un frimeur, qui
"la ramène" sans arrêt ! De toutes façons, on s'en fiche, on va
péniblement le voir dans une seule scène, et courte en plus ! La Violette et
Ragotin sont les laquais de Juan. On peut supposer que La Violette devait être
un peu làlaire, si vous voyez ce que je veux dire. Et si vous ne voyez pas,
allez vous faire cajoler chez les Hellènes, les choses vont paraitront
immédiatement plus claires… Ragotin, de mon point de vue, est plus intéressant.
Dans Ragotin, il y a ragot. Donc, ce quidam là est celui qui répand les
rumeurs… Vous me suivez ? Et il fait quoi, comme métier, Ragotin ? Il
est laquais, tout juste. Comme les canards ! (mais si, les canards laquais…) Ce
qui nous indique que le Molière estimait que les journaux ne racontent que des
bobards ! Vous mordez le raccourci ? Vous saisissez le pamphlet
sous-jacent ? Vous n'imaginiez pas qu'il y avait tout ça, dans Don Juan,
en commençant cette lecture, pas vrai ? Moi non plus. Mais poursuivons. Nous
avons encore le marchand, qui s'appelle monsieur Dimanche. D'où nous déduisons
que l'ouverture dominicale des commerces provoquait déjà des controverses au
dix-septième siècle. On a encore un pauvre, vraisemblablement un copain
désargenté des auteurs, qui ont voulu lui donner du boulot, et enfin un spectre
qui se balade dans le coin, et une statue de Commandeur qui parle, ce qui tend
à indiquer que les auteurs ne buvaient pas que de l'eau.
Demain, nous attaquons l'analyse de l'action, scène par scène, avec commentaires adaptés à un lectorat... contemporain. Bonne journée à tous
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